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mardi, 05 août 2008
Sartre et le garçon de café
Allez, zou, un peu de philo.
Les philosophes, pour présenter leurs théories aiment se servir d'exemples. Dans L'Etre et le Néant Sartre choisit un garçon de café pour illustrer sa définition très personnelle de la mauvaise foi.
Après s'être attablé à un café du quartier latin Sartre, derrière le verre épais de ses lunettes, considère le garçon de café de la façon suivante : "Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d'un pas un peu trop vif, il s'incline avec un peu trop d'empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voila qui revient, en essayant d'imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d'on ne sait quel automate, tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule [...]. Toute sa conduite nous semble un jeu [...]. Il joue, il s'amuse. Mais à quoi joue-t-il ? Il ne faut pas l'observer longtemps pour s'en rendre compte : il joue à être garçon de café." On l'aura compris : ce bonhomme en fait trop, il "en rajoute". Il cherche à se persuader lui-même qu'il se confond si parfaitement avec sa fonction qu'il est sa fonction. Or il n'est pas, par essence, garçon de café. En fait, son essence lui échappe. Il ne peut avoir conscience que de son existence, ce surgissement contingent et aléatoire dans le monde des vivants. En revanche, le plateau que porte si lestement notre serveur est, lui, bel et bien un plateau, un être-en-soi (c’est l’essence même d’une chose). Sa réalité est massive, univoque, incontestable, sans intériorité ni devenir. Il est fermé sur lui-même ; sa forme et sa fonction sont déterminées. Ce plateau est en lui-même ce qu’il est, rien que ce qu’il est et tout ce qu’il est. Si le plateau est, le serveur, lui, existe. Il est un être-pour-soi (c’est la capacité à se connaître soi-même. Les objets n’ont pas d’être-pour-soi. Dans le cas d’un homme, c’est sa conscience de lui-même), une conscience. La conscience n’a ni forme, ni contenu, ni fonction : elle est pur néant et pure liberté. Une ouverture béante sur le monde, un gouffre vertigineux et angoissant. L’Homme, parce qu’il est un être conscient, n’a donc pas d’essence, pas de stabilité, pas de pérennité. Il est condamné à n’être jamais ce qu’il est. Mais qui peut se résigner à n’être rien ?
Le rêve de toute conscience est de coïncider avec elle-même, de se donner la consistance indubitable d’une chose et d’abolir ainsi son angoissante liberté. C’est ce que Sartre appelle la mauvaise foi (pour lui c’est le propre de l’homme que d’être capable de mauvaise foi, c’est-à-dire de se mentir à lui-même sur ce qu’il est vraiment. La conscience peut être en décalage avec l’essence). Par sa conduite exagérément stéréotypée, le serveur veut s’arroger une essence pour échapper à son propre néant. Il « se la joue » garçon de café, comme d’autre jouent au policier irréprochable ou à l’employé modèle, pour se consoler du sentiment de leur propre vacuité. Mais voila que Jean-Paul se lève pour saluer Simone. Ensemble, ils vont jouer à être Sartre et Beauvoir au Flore ou à la Coupole.
Ça va ? Pas trop la tête en surchauffe ? Tiens, au fait, vous avez remarqué : être ou ne pas être ?/ Naitre (n’être) ou ne pas naitre (n’être)? La naissance est la négation de l’être… à méditer.
Sylvain Métafiot
Source : Article intégrale d’Olivia Gazalé Philosophie magazine n°1 avril-mai 2006
13:41 Publié dans Littérature | Tags : sartre, philosophie, idées, garçon de café, exemple philosophique, beauvoir | Lien permanent | Commentaires (8)
Commentaires
Bonjour,
un peu de surchauffe...Oui, mais c'est bigrement intéressant. Pourriez vous approfondir ? Ce garçon de café utilise "des outils" dans un environnement et peut être pas les mêmes outils quand il est ailleurs que dans son café. Pourquoi mauvaise foi ?
Et pourquoi négation de l'être? Au contraire, en astrologie, le développement personnel requiert de connaître ses outils, ensuite il faut choisir comment les utiliser, ce qui ne retire rien à la conscience.
Bonne journée.
Écrit par : capucine | mardi, 05 août 2008
Salut Capucine (si ce n'est pas un pseudo c'est très original),
Comme le décrit le philosophe Christian Godin : "La théorie de Jean-Paul Sartre est que l'existence est contingente, il n'y a entre la conscience et l'être des choses d'aucune commune mesure.
Dès ses 1ers textes philosophiques sur l'imagination et sur l'émotion, Sartre définit la conscience par l'intentionnalité mise en avant par la phénoménologie : la conscience n'est pas une chose ou un être, à la manière d'un agent, elle est une activité qui donne du sens aux choses en se projetant sur elles de telle ou telle façon. Imaginer, ce n'est pas regarder en spectateur une espèce de film intérieur mais exister d'une certaine façon [chose impossible pour les objets]. La néantisation, c'est-à-dire la capacité pour la conscience de trouer l'être des choses par le vide est le signe le plus net de la force de cette conscience : imaginer ses prochaines vacances, c'est néantiser ses soucis actuels ; trembler d'émotion face à l'examinateur d'oral, c'est néantiser la difficulté actuelle, etc.
Dans l'Etre et le Néant, le néant est la conscience (pour-soi) face à la chose (l'en-soi). Exister c'est ne pas être ce qu'on est et être ce qu'on n'est pas. Seul l'homme existe, car il est l'être par lequel le néant advient.
La liberté étant l'un des principale thème de sa réflexion (avec l'angoisse), elle est le versant positif de la contingence : à la différence d'un objet manufacturé, l'homme n'a pas été d'abord pensé par un concepteur. L'existentialisme sartrien exclut la possibilité même de Dieu [quel bonheur], qui serait la synthèse de l'en-soi (la compacité de l'être) et du pou-soi (le surgissement de la conscience).
La philosophie de Sartre n'est pas contre Dieu mais sans Dieu, ce qui représente la véritable définition de l'athéisme [vive les mécréants !]. Ainsi, l'existence précède l'essence."
Etre de mauvaise foi c'est nier cela selon Sartre. D'aillleurs le langage courant nous éloigne de la réalité en opérantun facile réductionnisme car on n'est pas blonde, noire, grand, beau, laid, prof, chiant ou garçon de café ; on existe dans le devenir ce qui compris une infinité de possibilitées non déterminées et non figées.
Quand à la négation de l'être à partir de la phrase d'Hamlet ce n'est qu'un jeu de mot qu'un de mes profs de philo m'a fait remarqué mais ne s'inscrit pas vraiment dans la réflexion de Sartre.
Pour ce qui est de l'astrologie, cela me désole réelement que des naifs croient à cette supercherie antique qui n'a pour but, comme toutes les superstitions archaïques, que de profiter du malheur et de la stupidité des gens sur leur dos. Comme le dit Gaston Bachelard, une science n'existe qu'à partir du moment où elle tourne le dos à tout ce qui était censé être connu et compris auparavant. Ainsi, l'astronomie n'est pas une astrologie perfectionnée mais la négation de la rêverie proprement antiscientifique de l'astrologie (il en va de même avec la chimie dans son rapport à l'alchimie). Il n'y a de connaissances scientifiques que lorsque les mythes et les rumeurs, les opinions et les croyances sont détruites ou écartés. Le plus tôt sera le mieux !
Cela me donnera l'occasion de rédiger plus tard un article sur les imposteurs scientifiques, les charlatans de tout poil, ennemis de l'intelligence et débiles profonds dont Madaaame Tessier est la tête de conne la plus représentative.
j'espère, tout de même, t'avoir éclairé...
Écrit par : Sylvain | mercredi, 06 août 2008
Bonsoir Sylvain,
merci pour votre développement et vos idées...
Mauvaise foi : je t'écrivais un étonnement quand, à partir d'un comportement ( celui du garçon de café) l 'idée de mauvaise foi était amenée, ...même si c Sartre !
Je découvre Sartre un peu avec votre cours... Mais, ce petit homme me déçoit! Voici que le pseudo-raisonnement glisse sur "l'existentialisme- sans Dieu" Mince alors, même si c Sartre!... ici ce n'est pas du réductionnisme mais une gageure de démarche. Voilà bien une drôle de philosophie, qui mélange des réalités et des idées arbitraires, des comptes à régler ? "Exister c'est ne pas être ce qu'on est et être ce qu'on n'est pas. " Allons.. pourquoi faire simple ..
Quand à la négation de l'être ... Ok, je retiens, c'était du verbiage!
Et pour la supercherie antique...Ton propre choix de réponse se retourne ...Tu n'es pas obligé de définir l'astronomie par ce qu'elle n'est pas, ensuite, bien sûr l'astrologie n'entre pas dans une démarche hypothético-déductive que tu connais probablement, vérifiée, scientifique. Mais ce qui n'est pas vérifié à ce jour, est peut être faux, ou pas ..."des ennemis de l'intelligence", ehbien, si tel est ton idée ...
Sylvain, votre réponse m'a beaucoup intéressée, surtout en ce qu'elle m'éclaire que bien des gens critiquent avec les mêmes travers que ceux qu'ils voudraient dénoncer.
Merci encore de m'avoir permis cet exercice de synthèse. Bonne soirée.
Écrit par : capucine | jeudi, 07 août 2008
Je ne nie pas l'apport de Sartre à la pensée philosophique. Mais puisqu'il est dans la pédagogie, pour montrer de façon didactique la mauvaise foi, il suffisait qu'il se prenne en exemple: de son soutien aux régimes derrière le rideau de fer (jusqu'à l'invasion de Budapest par les chars de l'armée rouge), à son soutien aux factions terroristes à l'ouest, il y avait sacrément matière... ;)
Écrit par : Benoît | jeudi, 07 août 2008
Salut Benoît,
Le problème c'est que tu mélange le sens commun et vulgaire de la mauvaise foi avec son sens philosophique. Je rappelle que ce dernier, pour Sartre, c'est "se mentir à soi-même sur ce qu’on est vraiment. " Communément on définie la mauvaise foi comme nier l'évidence ce qui peut trouver un écho dans la pensée de Sartre mais le "bon sens" commun néglige ou écarte les notions plus complexe d'être-pour-soi (existence), d'être-en-soi(essence), de liberté, d'angoisse, etc.
Bien entendu, le Jean-Paul Sartre philosophe et écrivain est bien plus intéressant que le Sartre militant communiste borné. Mais son engagement fait partie de son existence et il ne faut pas le réduire à ça. Comme le décrit si bien Christian Godin (encore lui !) "La 2nd guerre mondiale marque un tournant important dans la philosophie de Sartre [...]. Le problème constant de la philosophie de Sartre fut de penser la liberté absolue du sujet avec les conditions de l'histoire, ce que traduit le concept d'engagement rendu célèbre grâce à lui. Sartre est un homme révolté qui a toute sa vie pensé une révolution qui finalement n'arrive jamais.
"Si on ne donne pas sa vie pour quelque chose, on finira par la donner pour rien" Sartre
Personnelement, je préfère, comme le chantait le poète Brassens "mourrir pour des idées ? D'accord mais de mort lente"
Continuons la description de Godin : "C'est à propos de son engagement politique et surtout au début des années 1950, au moment de son compagnonnage avec le Parti communiste, que l'on a dit et répété jusqu'à en être saoûl que Sartre s'est trompé.
Sartre était un violent. Il appelait un chat un chat et comme tout écrivain il lui arrivait d'y voir un tigre. Pas de grande philosophie sans imagination et pas d'imagination sans risque. Sartre a beaucoup risqué en écrivant autant.
Mais que signigie au juste "se tromper" en philosophie ou en politique ? [...] La pensée est très rarement de type mathématique et ne porte pas souvent sur des faits avérés. Quels sont les critères du bon et du mauvais.
Lorque Sartre dit : "La liberté de critique est totale en Union soviétique" il profère une énormité qui va bien au-delà de l'erreur. Mais lorqu'il prend la défense du communisme contre la politique américaine au moment de la guerre de Corée, est-ce que cela a un sens de dire qu'il s'est trompé ? Le gauchisme peut-être déclaré dangereux, fou, idiot, ludique, absurde, tout ce qu'on veut, mais peut-il est faux ? Sartre s'est-il trompé en se déclarant solidaire des étudiants en 1968 ? S'est-il trompé lorsqu'il a crée, avec Bertrand Russell, le tribunal destiné à juger les crimes de guerre commis par les Américains au Vietnam, en déplorant que le tribunal de Nuremberg n'ait pas été définitivement constitué comme une conscience mondiale permanente ?"
Voila, lisez donc le philospohe et écrivain Jean-Paul Sartre et laissez de coté le Sartre extrémiste qui déclarait "tout anti-communiste est un chien !"
Écrit par : Sylvain | vendredi, 08 août 2008
En fait Sylvain, je crois qu'il n'existe pas vraiment deux Sartre, un militant et un philosophe. Il est militant parce qu'il a une certaine philosophie. Il existe un bon commentaire sur le garçon de café sur le site des contemporaines (dont voici la référence exacte : http://lescontemporaines.fr/spip.php?article63) qui met bien en avant cette idée de liberté en rapport avec la mauvaise foi du garçon de café.
Amitiés philosophiques,
Marc Dumontay
Écrit par : Marc399 | jeudi, 07 mai 2009
Bien le bonjour Marc et merci pour ton commentaire.
J'ai parcouru l'article de votre collègue, malgré sa longueur et sa difficulté, et c'est véritablement brillant. Davantage qu'ici même sur ce blog.
La dialectique entre le Sartre philosophe et le Sartre militant n'est peut-être pas vraiment appropriée, en effet. On peut, peut-être parler, de Sartre jeune rédigeant "L'existentialisme est un humanisme", "La nausée", "l'être et le néant" ; et un Sartre "vieux" d'après guerre, ancré dans la logique, malheureusement manichéenne, de la guerre froide.
De plus, j'ai bien apprécié le commentaire du texte de "L'Utopie" de Thomas Moore (avec deux o, faites attention).
Félicitations pour votre site et à bientôt pour de nouveaux dialogues philosophiques.
Écrit par : Sylvain | vendredi, 08 mai 2009
France Culture avait consacré une série de cinq émissions à Sartre : http://www.franceculture.com/emission-les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance-l-aventure-sartre-15-vie-et-biographie-de-sartre-20
En espérant que les podcast fonctionnent toujours...
Écrit par : Sylvain | lundi, 28 mars 2011
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