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mercredi, 11 mars 2009

L’inquiétant retour du religieux

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Les penseurs des lumières avaient parié sur la fin des religions et le triomphe progressif de la raison… Malheureusement, ils seraient bien étonnés s’ils assistaient à l’actuel « retour du religieux » sous des formes multiples, allant de la mode des spiritualités, de l’explosion des conversions à l’islam et au protestantisme à travers le monde, des offensives de Benoit XVI pour la promotion d’une rationalité chrétienne, de celle de Nicolas Sarkozy pour une « laïcité positive », à la violence nettement plus inquiétante des fanatismes.

 


Souvenons-nous de ce que nous annonçaient des personnages aussi illustres que Voltaire (1694-1778), Diderot et Condorcet. Que le règne de la Raison et de la Liberté, de la Science et du Progrès allait mettre fin à l’alliance des Eglises et du despotisme. Que « l’humanité qui sait » allait se substituer à « l’humanité qui croit », comme le disait Renan dans l’Avenir de la science. Et que la conquête scientifique et technique du monde allait contribuer à l’autonomie et au bonheur d’un homme nouveau. Au siècle suivant, ce ne sera plus seulement la superstition, mais la religion elle-même que Nietzsche, Marx et Freud s’attacheront à déconstruire, en dénonçant derrière les idéologies religieuses une névrose collective, l’opium d’un monde sans cœur ou une haine de la vie, en passe d’être surmontés. Tous concluaient leur procès de la religion par la sentence de la « mort de Dieu ». Préalable au processus de sécularisation.


voltaire.jpgLa sécularisation épouse le programme porté par les sciences et la philosophie depuis vingt-cinq siècles. Son principe est simple : pour les religions, ce qui n’est pas connu représente le domaine de l’inconnaissable par principe, et du mystère devant lequel il faut s’incliner. Les réponses appartiennent à Dieu, à ses envoyés et aux livres sacrés. Mais pour les scientifiques, l’inconnu est uniquement ce qui n’est pas encore connu, une lacune que la science doit combler et non un absolu définitif.

 


De fait, on assiste l’extinction naturelle des religions grâce aux avancées scientifiques, ce qui constitue un aspect important de ce que le sociologue allemand Max Weber, reprenant une formule du poète Schiller, a appelé « désenchantement du monde » défini comme « l’élimination de la magie comme technique de salut ». Dans L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, il explique que la modernité, depuis le XVIème, parachève un vaste mouvement visant à rationaliser notre rapport au monde. Croyant de moins en moins en la puissance effective des sacrements et des rituels, s’accoutumant à juger de ce qui l’entoure à l’aune de la raison, l’homme contemporain, à l’époque de la mondialisation, a du mal à conformer ses convictions et ses conduites à un dogme particulier. Il est de moins en moins évident d’obéir au système des castes, de jeûner avec rigueur, de prier à heures fixes, de refuser la contraception, de ne s’unir qu’à un coreligionnaire…

 


381104372_8e2c40d1b5.jpgComme le montre le philosophe américain Michael Martin « Le cliché selon lequel l’athéisme conduirait à l’immoralité ou représenterait un danger pour la société est réfuté par les statistiques de la criminalité et le fait que, dans les pays qui ont le plus grand pourcentage d’athées, il y a en général moins de pauvreté, moins de mortalité infantile, une meilleure défense des droits civils et davantage de démocratie que dans les pays où les athées sont peu nombreux. On prétend aussi qu’il est beaucoup plus difficile pour un athée d’affronter la mort. Pourtant en tant qu’athée je sais que ne n’existerais pas après ma mort, que je n’aurais pas je ne sais quel mode d’existence étrange. Mon futur n’est pas incertain et, du coup, je m’applique en toute clarté à résoudre les problèmes de ce monde. »

 


Aujourd’hui quant on entend Georges W. Bush (« Je suis sûr que Dieu parle à travers moi »), Dimitri Medvedev (« La coopération entre les nations, les religions et les cultures, c’est la base de l’Etat russe ») ou Nicolas Sarkozy (« Ce sont les religions […] qui nous ont les premières appris les principes de la morale universelle ») on ressent une certaine nostalgie pour le XVIIIème siècle… Une dernière pour la route : l’université du Medef avait proposée une table ronde consacrée à « Dieu pour point d’appui et la prière pour levier ».

 

 

Quelques pensées de philosophes pour remettre à sa place les bigots de tout genre :


  • Lucrèce (1er siècle avant J-C), cet épicurien romain, n’est pas à proprement parler un athée : il pense que les Dieux existent. Mais il farouchement antireligieux : il refuse que l’on établisse un lien (religio) entre ces dieux qui vivent tranquillement loin des hommes et ne se mêlent pas de leurs affaires et les humains. La religion entraîne le malheur individuel – pourquoi ai-je été puni par la divinité ? Irai-je souffrir aux enfers après ma mort ? – et collectif (guerres de religions, sacrifices, superstition, soumission). Le seul remède à cette folie est le savoir. En comprenant que l’univers n’est composé que d’atomes et de vide, l’épicurien se débarrasse de la peur de la mort (qui n’est rien et ne débouche sur rien), des dieux, des phénomènes naturels, de la douleur. La connaissance guérit de la misère religieuse.
  • Karl Marx (1818-1883), pour le matérialiste les religions, leurs dogmes, leurs récits fondateurs, leurs dieux et leurs saints sont de pures illusions. Selon le théoricien de la lutte des classes, elles ont été crées par les classes dominantes pour convaincre les faibles de supporter leur sort matériel en espérant un salut dans l’au-delà. Pour le penseur de l’aliénation, la présence des religions manifeste tragiquement la non-coïncidence de l’homme avec lui-même. Sa disparition est nécessaire à la libération des classes opprimées : « l’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence de son bonheur réel. »

 

 

 

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Selon les pronostics les plus sombres, le XXIème siècle sera le théâtre de violents affrontements entre les fondamentalistes. Le 11-septembre aurait ouvert la voie à une montée aux extrêmes qui pourrait prendre la forme d’une épidémie d’actes terroristes. Voir d’un « choc des civilisations », sur fond d’apocalypse. « Vous aimez la vie, nous aimons la mort, c’est pour cela que nous allons vaincre », proclamait la vidéo d’Al-Qaïda revendiquant les attentats de mars 2004 à Madrid. Le 26 juillet dernier, à Ahmedabad en Inde, seize bombes explosaient, faisant près de 50 morts et 160 blessés. Revendiqués par les moudjahiddin indiens, ces attentats répliquaient à des pogroms anti-musulmans organisés par des fondamentalistes hindous en 2002 dans l’Etat du Gujarat, totalisant près de 2 500 morts. Du coté chrétien, Pat Robertson, l’un des télévangélistes américains les plus populaires, multiplie les attaques contre les homosexuels et les féministes et traite les athées de « termites », certains orthodoxes radicaux en Grèce et en Russie voient le diable partout, comme cette secte russe qui s’est enfermée six mois en 2007 avec une trentaine d’adeptes dont quatre enfants dans un abri souterrain, pour attendre la venue de l’Antéchrist. En Israël, les Haredim, représentants du judaïsme ultra-orthodoxe, lancent des pierres sur les voitures qui roulent pendant le shabbat et n’ont pas hésité à distribuer des tracts réclamant la « mort des sodomites » le jour de la Gay Pride en 2006.

 


respect1.jpgDans La folie de Dieu, le philosophe allemand Peter Sloterdijk s’interroge sur les origines de la violence religieuse et la probabilité d’un « choc des monothéismes » dans un proche avenir. Il démontre que chaque monothéisme contient en lui-même les germes de la violence. Toute explication du monde renvoyant à l’Un, au Plus-Haut, relègue non seulement les autres dieux au second rang, mais elle place également le « Dieu mondial » au-dessus de l’humanité. L’existence de trois monothéisme rend possible de multiples scénarios de guerres : il existe un « anti-judaïsme chrétien », un « anti-islamisme chrétien », un « anti-christianisme islamique », un « anti-judaïsme islamique », un « anti-islamisme juif », etc. A Quoi il faut ajouter la possibilité des schismes sanglants comme dans le cas de la Réforme, qui est un « anti-christianisme chrétien », ou des heurts entre sunnites et chiites, dus à l’ « anti-islamisme islamique ». Enfin, des alliances à deux contre un sont possibles : on peut ainsi voir les juifs et les chrétiens se liguer contre les musulmans, les chrétiens et les musulmans s’unir contre les juifs… Et les athées comptent les points en sirotant un jus de fraise ?

 


Une bonne solution serait d’opposer aux fous de Dieu de façon radicale comme le prône Voltaire : « que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui […] est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? » s’inquiète le penseur à l’article « Fanatisme » du Dictionnaire philosophique. Le remède à cette « maladie épidémique » meurtrière est « l’esprit philosophique, qui […] adoucit enfin le cœur des hommes, et qui prévient les accès du mal ». Mais si la raison ne suffit pas à contenir les fanatiques, il faut les combattre sans relâche, comme Voltaire l’a fait toute sa vie.

 


J’estime même que la mort des religions doit être accélérée, à l’instar du biologiste britannique Richard Dawkins auteur du Gène égoïste et surtout de Pour en finir avec Dieu, ouvrage de combat contre les religions qui a connu un succès mondial. Selon lui, on peut espérer l’extinction de l’hypothèse religieuse pour bientôt grâce à la victoire définitive du darwinisme – à condition qu’un véritable mouvement en faveur de l’athéisme voie le jour. Il compare les progrès espérés de l’athéisme à ceux du féminisme : « Dans l’Amérique d’aujourd’hui, les athées ont le même statut que les homosexuels il y a cinquante ans. » D’autant plus que l’éducation religieuse des enfants constitue un véritable endoctrinement. Dans le contexte de la protection croissante des mineurs, il s’interroge : « N’est-ce pas toujours une forme de maltraitance des enfants que leur accoler des étiquettes de croyances auxquelles ils n’ont pas réfléchi parce qu’ils sont trop jeunes ? » Il faudrait donc une pénalisation de l’éducation religieuse car les sciences et les modes de vie ne débarrasseront pas seules l’humanité du phénomène religieux.

 


Allez une dernière citation pour la route : « Dieu est le seul tort que je ne puisse pardonner à l’homme » (Sade). Question de dignité face à notre néant.

 

 

Sylvain Métafiot


Source : Philosophie magazine n°22 septembre 2008

 

Commentaires

 

J'adore cet article, les bigots sont effectivement de retour ! Aux abris ! Moi j'aime bien la citation de Woody Allen qu'on avait mis sur ce blog : " si Dieu existe, il a un intérêt à avoir une bonne excuse "

 

Pas grand chose à rajouter...en période de doute et de pertes des valeurs, on se raccroche à l'irrationnel et aux beaux parleurs, à la promesse du salut...

Je conseille vivement le visionnage de Religolo, derrière ce titre au manque évident de sérieux se cache un docu extrêmement intéressant (et inquiétant pas certains aspects), drôle est sans mépris (face à des personne affirmant sans sourciller, par exemple, qu'il est évident que les premiers hommes ont joué avec les T-Rex oO), même si il est peut-être un peu trop à charge à mon gout.

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