En cette période de crise, Jean-Claude Guillebaud remarque une autre différence décisive procédant de la fracture culturelle : « C'est celle qui sépare aujourd'hui le tintamarre médiatico-politique du vrai mouvement des idées ; celle qui éloigne le bavardage convenu de la réflexion distanciée et du savoir véritable. A écouter les radios et télévisions commerciales, à suivre les innombrables débats qui y sont organisés, on pourrait conclure que l'époque, décidément, est barbare, et bien courte sa pensée. Celle-ci s'y trouve le plus souvent réduite à quelques antagonismes rudimentaires : plus d'Etat/moins d'Etat, tout marché/tout démocratie, déficits/restrictions, etc. [remarquez que l'économie envahie tout] Une aussi criante misère semble prouver que le ciel des idées [spéciale dédicace à Platon] est décidément bien vide ces temps-ci. Or, ce n'est pas vrai. Il suffit de choisir un autre niveau pour constater que la vie intellectuelle a rarement été aussi riche, diverse, exigeante, féconde. C'est vrai pour tous les territoires du savoir contemporain.

Le contraste devient donc saisissant entre le grand bavardage du flux - enchaîné à ses contraintes, à ses audimats, à ses vanités - et la vie des idées proprement dite. Comme si l'un et l'autre fonctionnaient désormais de façon cloisonnée, autonome, voire antagoniste. Au fastidieux ressassement quotidien s'oppose de plus en plus le travail souterrain d'une microsociété de clercs, retranchés loin du vacarme, soucieuse de rigueur, seule capable de prendre loyalement en charge la complexité [spéciale dédicace à Edgar Morin]. C'est cela France Culture : tenir la pensée à l'abri des simplifications ambiantes. Son rôle, comme celui des revues, des colloques, de l'Université, est de jeter des passerelles entre la réflexion sérieuse et le citoyen ordinaire, entre le travail conceptuel et la démocratie. »

Pour rendre effective la déclaration du metteur en scène et homme de théâtre Antoine Vitez d'un « élitisme pour tous », non pas oligarchique mais bel et bien démocratique, afin d'hausser toujours plus le niveau de tout un chacun, quelque qu'il soit. Mais, le risque est de voir ce fragile ilot d'intelligence - sans pub ! - englouti par la vague menaçante du tohu-bohu branché et décérébré.

A titre personnel je vous conseillerais :

• L'éloge du savoir, une heure de conférence du Collège de France (tous les jours sauf le week-end de 00h35 à 1h30)
• Mauvais genre, présenté par François Angelier (le samedi de 22h à minuit)
• Les matins, présenté par Marc Voinchet, entrecoupés des chroniques de Philippe Meyer, Brice Couturier, Caroline Eliacheff, Raphaël Enthoven, Alain-Gérard Slama, Hubert Védrine, etc. (tous les jours sauf le week-end de 7h00 à 9h00)
• La fabrique de l'histoire, présenté par Emmanuel Laurentin (tous les jours sauf le week-end de 9h05 à 10h00)
• Les nouveaux chemins de la connaissance, présenté par Adèle Van Reeth (tous les jours sauf le week-end de 10h00 à 11h00)
• Répliques, présenté par Alain Finkielkraut (le samedi de 9h05 à 10h00)
• Cultures d'islam, présenté par Abdelwahab Meddeb (le vendredi de 15h00 à 16h00)

Enfin, cerise sur le gâteau, France Culture est la meilleure radio musicale...les jours de grève du service public. En effet, lorsque Radio France interrompt sa diffusion, toutes les radios publiques font tourner de la musique en boucle sur leur station. Que diffuse France Culture ? Uniquement de la musique classique ? Que nenni : j'ai eu la bonne surprise (après la mauvaise de ne pas retrouver mes émissions préférées) de pouvoir me délecter des artistes suivants dans le désordre: The Clash, TTC, la suite n°3 en C majeur de Bach, Digitalism, Björk, The Wutang Clan, Miles Davis, Keny Arkana, Gotan Project, le duo français électro-rap Redbong, la bande originale de L'étrange Noël de Mr Jack de Drive des films de Kusturica et bien d'autres.

Un must cette foutue radio !

Sylvain Métafiot