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vendredi, 18 septembre 2009
« Si tu vis c’est à cause de moi ! »
Un uppercut ! C'est ce qu'on prend en pleine face car il existe une catégorie particulière de films qui vous laisse K.O. après visionnage. Qui continus de vous hanter longtemps après, vous laissant un goût âpre dans la bouche. Comme une sensation de vertige incessante. Un prophète est de ces films là (Grand Prix du Festival de Cannes). On n'en sort pas indemne. Un long-métrage de ce gabarit calme son homme, radicalement. On sort de la salle en silence, comme après avoir subi un choc. Jacques Audiard est l'homme derrière cette œuvre puissante, après le déjà très sombre De battre mon cœur s'est arrêté. Le fils d'un tonton flingueur (l'immense Michel Audiard) confirme ainsi son statut de grand, très grand cinéaste. Ainsi qu'un scénariste hors pair (avec Abdel Raouf Dafri), nous transportant dans la peau d'un marginal que l'on aura bien du mal à reconnaître à la fin.
Malik El Djebena, 19 ans, a été condamné à six ans de prison pour avoir tabassé des flics. Proie facile dans un univers carcéral impitoyable, il est pris en main par César Luciani, un parrain corse qui va lui demander, en échange de sa protection, comme premier service de tuer un informateur, Reyeb (Hichem Yacoubi) avant d'exercer une pression monstrueuse. Par la force de ses poings et de son esprit, Malik va renverser les valeurs et se faire respecter.
Si Les beaux gosses de Riad Sattouf fut la meilleure comédie française de l'année, Un prophète est sans conteste le meilleur film noir, voire le meilleur film français depuis un sacré bout de temps. Oubliez Prison Break & Co, dénaturant totalement la réalité carcérale, mais remémorez-vous plutôt Oz, la terrifiante série sur l'enfer d'une prison américaine. Si la référence à Oz est la première qui vient à l'esprit c'est parce qu'on ne badine pas avec la vie, pure et dure, du monde pénitentiaire, que ce soit aux Etats-Unis ou en France. A ce titre Un prophète est parfaitement dans le ton de la violence omniprésente de cet univers si glauque. Audiard film les tensions permanentes, la corruption, la peur, la violence arbitraire des gardiens, la saleté et le sexe de manière brut. Nul manichéisme, ni moralisme.
Le jeu des acteurs est formidable de part en part mais le film nous donne surtout à admirer la performance de deux comédiens particulièrement grandioses : un vétéran du grand écran, Niels Arestrup, et une étoile filante, Tahar Rahim. Leurs parcours croisés constituent la trame principale du film, même si la montée progressive et sauvage du jeune Malik accapare davantage notre attention.
Arestrup joue un parrain corse brutal avec une telle facilité qu'on se demande si c'est vraiment un rôle de composition. « Ce qui m'intéressait, c'est de savoir comment vit un homme d'une soixantaine d'années, enfermé depuis vingt ans sans espoir de retour à la vie normale. Comprendre comment il s'accroche en essayant de prolonger son influence à travers un autre. »
Depuis sa rencontre providentielle avec Audiard en 2006 pour De battre... il excelle dans les rôles à la violence contenu, prêt à exploser au moindre accroc. A cette époque il affirmait : « Il pourrait me demander de jouer une porte, je le ferais », témoignant de la confiance que lui inspire le réalisateur à chapeau.
La découverte bienvenue réside donc dans le jeu ébouriffant de Tahar Rahim, plus vrai que nature en délinquant analphabète et farouche. Ne sachant pas lire il est pourtant déterminé à gravir les échelons de la criminalité pour gagner le respect de ses codétenus et surtout un max de blé.
Niels Arestrup déclare à propos de son partenaire : « Un type vrai, pas encore usé par le métier. C'est comme au tennis, au bout de trois balles, j'ai su qu'on allait s'amuser. »
Le gang des Corses va donc prendre le jeune Malik sous son aile en faisant de lui leur homme à tout faire, du café aux basses œuvres crapuleuses. Une dépendance qui deviendra vite pesante. Malik, d'origine Arabe, se rapproche aussi des musulmans (le gang des barbus) même si sa seule religion est celle de l'argent facile. César Luciani découvrira ainsi, à ses dépends, que la criminalité à l'ancienne est vouée à disparaître, de gré ou de force. Et il n'est pas du genre à baisser gentiment les yeux. A propos des affrontements, les scènes d'action (fusillades, bastons, meurtres) sont impeccablement maîtrisées, faussement simples, comme un coup d'œil sur la sauvagerie quotidienne. Du grand art.
Tout en prêtant allégeance à Luciani, Malik roule en réalité pour sa pomme et préfère prendre ses distances avec le communautarisme ambiant : Corse pour les barbus, Arabes pour les corses, en fin de compte cela l'arrange. Son individualisme forcené et son intelligence dissimulée, lui permettront de nouer des liens précieux (Ryad, le gitan, Brahim Lattrache, Lattif l'Egyptien), de survivre et de construire un business solide à l'intérieur comme à l'extérieur de la prison.
On assiste donc à la transformation d'une petite frappe en caïd du crime. Le passage de témoin se fera dans le sang et les larmes : montée spectaculaire du jeune loup et déchéance flagrante du vieux lion. Le drame Œdipien présent dans De battre... est de retour en taule : la mort du père est inéluctable pour avancer.
Si la musique pouvait sauver Tom dans De battre..., le seul moyen de survivre en prison est le meurtre. « La prison a l'avantage de produire de la délinquance » disait Michel Foucault. Aucune échappatoire possible dans cet univers sans espoir. Même les rêves se révèlent de véritables cauchemars, comme en témoigne les sublimes séquences poético-oniriques de Malik, bercée par la musique minimaliste (et pourtant si tenace) d'Alexandre Desplat. Des songes qui se révèleront parfois prophétiques... Audiard ne craint pas d'apporter une touche de fantastique dans ce monde extraordinaire par l'intermédiaire du fantôme de Reyeb (sa première victime) accompagnant notre héros jusqu'au bout de son périple.
Les trouvailles visuelles permettent d'aérer le récit, de sortir quelque peu des murs gris de La Centrale, sans exclure la tension dramatique. A ce titre, l'un des plus beaux plans du film est Malik assis, de dos, le regard perdu face à la mer.
Si bon nombre d'hommes tombent, un seul monte. En somme, une histoire tant individuelle qu'universelle (un prophète parmi d'autres). La loi de la jungle au mitard.
Question références, on est clairement de l'autre coté de l'Atlantique avec Don Siegel, la dimension christique d'un Scorsese et celle de la fresque romanesque de Coppola à travers le parcours d'un moins que rien devenant un mythe vivant (Le Parrain). Voir aussi le Scarface de Brian de Palma pour l'ascension du malfrat.
Avec l'arrivé de ce Prophète, des films comme Midnight Express ont désormais un peu de plomb dans l'aile - ce qui n'enlève rien à leur brio et à leur violence - tant cette plongée quasi-documentaire de 2h30 est suffocante. A noter que les sublimes affiches des deux films se ressemblent dans leur sobriété et leur noirceur. Les prisons françaises n'ont rien à envier aux prisons turques.
Avec ce renouveau éprouvant du film carcéral français, Jacques Audiard nous livre une vision anxiogène et amorale de l'école du crime. Un film de genre qui transpire la haine et pue la violence crue, malgré des moments de soulagement éphémères. Un malaise permanent nous faisant croire à la maxime selon laquelle « L'art c'est la réalité ». On en redemande !
(Au fait, j'espère que Rachida Dati, MAM et tous ceux qui pensent que les prisons sont des refuges quatre étoiles ont visionné ce miroir social, pour leur plaisir cinématographique bien sûr mais aussi pour leurs neurones...)
Sylvain Métafiot
21:06 Publié dans Cinéma | Tags : un prophète, prison, enfer carcéral, niels arestrup, tahar rahim, chef d'oeuvre, film noir, thriller, malfrat, école du crime, grand prix du festival de cannes, oz, jacques audiard, sylvain métafiot | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
J'aime beaucoup la petite référence politique à la fin de l'article...^^
Écrit par : jérémy | dimanche, 20 septembre 2009
On passe du domaine artistique au domaine politique en effet avec cette petite parenthèse. Mais le discours sur le prétendu laxisme ambiant des prisons (et plus généralement sur la délinquance) m'exaspère de plus en plus.
Le cinéma permet encore une fois de lever un voile sur une partie négligée de la réalité. Et avec quel talent !
Écrit par : Sylvain | lundi, 21 septembre 2009
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