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vendredi, 06 novembre 2009

Rhétorique du Mal

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Alors, la mérite-elle ? Quoi donc ? Mais la palme d'or pardi ! Voila la récurrente question à l'encontre du dernier film de Michael Haneke, Le ruban blanc. L'intérêt de la réponse est pourtant minime tant bon nombre d'excellents films auraient pu être gratifiés du bibelot (Un prophète notamment). Parlons plutôt cinéma que récompenses ! Le talentueux réalisateur de La pianiste narre ici le bouleversement funeste d'une jeune génération au sein d'un village protestant Allemand à l'aube de la première guerre mondiale. Nous suivons le récit de l'instituteur (sous-titre du film), en voix off, essayant de se remémorer, tant bien que mal, les étranges évènements qui ont frappés son village. Et c'est parti pour 2h40 d'inconfort pas toujours justifié.

 


Premier constat, la photographie en noir et blanc est magnifique, s'accordant parfaitement avec l'ambiance épurée et passéiste. Ce qui ne va pas empêcher un certain malaise de nous étreindre la gorge : qui donc est responsable des multiples accidents - qui deviendront des crimes - frappant le village ? Pas âme qui vive n'est aperçu sur les lieux tragiques, si ce n'est quelques gamins qui trainaient dans le coin...

 

 

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La violence est de nouveau au cœur de l'œuvre d'Haneke, après la remarquable et terrifiante réflexion sur la violence dématérialisée de Funny Games (son meilleur film à mon humble avis, original et remake compris). Cette fois-ci la violence est diffuse, permanente mais dissimulée, physique mais surtout psychologique. Haneke ne cherche pas la rendre spectaculaire, drôle et jouissive, ce que l'on peut regretter. L'anti-Tarantino dans la représentation de la violence en somme : Tarantino la sublime au point d'en faire un spectacle baroque et flamboyant quand Haneke la dissèque méthodiquement, l'expose froidement pour mieux la dénoncer. Mais tous les deux sont d'une précision et d'un savoir-faire sans nuls pareils. Et reconnaître leur génie respectif n'a rien de contradictoire. Pourtant, si on peut parfois regretter le puérilisme de Tarantino, on peut davantage reprocher l'intellectualisme glacial d'Haneke.

 

Le style clinique et perfectionniste d'Haneke est reconnaissable entre mille : ambiance pesante et monotone, pas de musique (à l'exception de la fête du village, rare moment de détente), plans fixes ou lents travelings, dialogues ciselés, longueurs excessives. Amateurs de Transformers, passez votre chemin... Le ton est dur et lancinant, laissant la part belle à des phases d'ennui et de frustration palpables. Sentiments qui, à la longue, se transmettent au spectateur. La violence à venir est laissée en suspend. Comme le bouillonnement d'une marmite prête à déborder...mais qui n'explose pas vraiment. La brutalité est très souvent suggérée, et non montrée explicitement, à la différence de Funny Games et ses scènes difficilement soutenables. Dans Le ruban blanc, la maladie de la violence imprègne chaque atome de ce petit village propre sur lui et en apparence civilisé ; à l'image, notamment, de ce médecin qui rejette, avec une cruauté inouï, sa maîtresse et se rabat sur sa jeune fille, ou encore des violences domestiques à l'encontre des enfants.

 

 

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Haneke film un univers clos, reclus sur lui-même, peu enclin aux relations extérieures. Mais à trop vouloir se distancer de son sujet il expose ses personnages comme des souris de laboratoires aux seules fins de ses propres expériences cinématographiques. Il évite cependant les errements du fantastique même si l'on pense au Village des damnés ou au Village de M. Night Shyamalan pour leurs communautés autarciques dérangées et extra-ordinaires. L'ascétisme formel est pourtant d'une lourdeur qui, si elle est assumée par le réalisateur, rend le long-métrage aussi grisant qu'une porte de prison. Si ses réflexions intellectuelles d'une froideur chirurgicale sont souvent justes, Haneke n'opère pas son sujet à cœur ouvert, laissant planer le thème du péché sans le prendre à bras le corps.

 

Du fait de la période où se déroule l'histoire (1914) se pose la question de l'apparition du fanatisme dans une société répressive, de l'origine de la barbarie nazie. Quels sont les ressorts socio-psychologiques qui ont conduits des enfants à développer un goût immodéré pour la cruauté ? Haneke pointe et dénonce l'éducation réactionnaire faite de rigidités morales, d'endoctrinement religieux, de châtiments corporels, de soumission inconditionnelle à l'autorité (paternelle principalement). Le raccourci est rapide mais non dénué de fondements véridiques.

 

 

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Petite parenthèse pédagogique. En 1950 déjà, Theodor W. Adorno, dans The autoritarial personnality, se demandait comment tant de gens ont pu participés au régime nazi. Il découvre que la culture peut, dès l'enfance, façonner des traits de personnalité psycho-rigide, autoritaire, anti-démocratique et dont le vecteur principal est l'éducation et en particulier l'éducation sévère et dépourvue d'affection. Ainsi, l'antisémitisme aurait comme racine l'incapacité à s'autocritiquer, un goût pour les stéréotypes, l'amour de l'ordre et de la famille, l'intolérance aux autres et l'autarcie du groupe. De son coté, Max Horkheimer, dès 1935 dans Autorité et famille, avait souligné que si le système social parvient à se maintenir, c'est parce qu'il formate au plus profond des individus jusqu'au conformisme parfait. Des parallèles entres personnalités et régimes politiques se trouvent également chez Wilhelm Reich qui étudie la frustration sexuelle. Haneke qui a étudié la philosophie ne semble pas méconnaître ces études...

 

Ontologiquement, l'innocence de l'être humain disparaît dès l'instant où il fait son premier choix. Etre pur et innocent c'est ne jamais choisir, s'exclure de la communauté humaine. Soyons fier de notre imperfection, soyons fiers d'êtres humains ! Etre humain c'est aussi, entre autres, user de la violence de façon totalement injustifiée - le mal pour le mal - ce qui est parfaitement retranscrit dans le comportement des jeunes bambins, fussent-ils affublés d'un ruban blanc.

 

 

La conclusion laisse un goût d'inachevé, à la manière d'une histoire policière dont on refermerait le livre avant le dénouement final. Mais cela ne surprend pas pour autant car Haneke a l'habitude de rester sur ce sentiment d'incompréhension : ses films posent d'innombrables questions dérangeantes sans jamais apporter de réponse, à la manière - a priori - d'un philosophe qui pose uniquement les bonnes questions et ouvre les chemins à arpenter pour trouver une éventuelle réponse. Fournir les deux en même temps est une tare de nos médias contemporains qui révulse Haneke. Il préfère miser sur l'intelligence supposée du spectateur pour combler les lacunes - évidentes ! - de son film. Procédé flatteur et juste mais peu judicieux car toutes les interprétations sont possibles et pas forcément les plus subtiles. On reste ainsi sur des non-dits suggérant implicitement que tout le monde est coupable, sans exceptions ! Une rhétorique répétitive et assez puritaine en fin de compte (« le mal est partout »), qui dessert la réflexion originel.

 

 

Sylvain Métafiot

 

 

Commentaires

 

Chapeau pour ton article...

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