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lundi, 19 avril 2010

Désillusions retrouvées

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Cela faisait longtemps ! Cela faisait longtemps qu'on n'avait pas vu un film nous embarquer avec brio dans un déluge de destins croisés, tous aussi dramatiques les uns que les autres. Il faut remonter au sublime Magnolia de Paul Thomas Anderson pour se remémorer une telle maîtrise du sujet. Mais point de Los Angeles sous une pluie de grenouilles, ici. Ajami est un thriller se déroulant dans le quartier éponyme et cosmopolite de Jaffa, non loin de Tel-Aviv. Aux commandes le juif israélien Yaron Shani (également interprète de Binj le cuistot) et le chrétien palestinien Scandar Copti (à gauche sur la photo suivante) signent une œuvre noir, au terme de laquelle on se demande à quoi se rattacher pour avancer sans lâcher prise.

 


A l'exception de quelques comédiens professionnels, la majorité des acteurs du film sont des habitants du quartier, permettant, ainsi, d'apprécier dans toute sa splendeur (et son horreur) le réalisme à fleur de peau de la mise en scène (« Tout est fait à l'instinct » selon Copti). On croirait à un énième documentaire sur le Proche-Orient, à ceci près qu'on est face à une histoire nerveuse lorgnant davantage du côté de Martin Scorsese que de Arte reportages.

Impossible de ne pas louer le talent de Shahir Kabaha (Omar), Ranin Karim (Hadir), Ibrahim Frege (Malek), Fouad Habash (Nasri), Eran Naim (Dando), Youssef Sahwani (Abu Elias), et tant d'autres formidables interprètes non-professionnels.

 

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Mais, le génie des réalisateurs ne s'arrête pas en si bon chemin. Comme cela est explicité dans l'introduction, la trame narrative n'est pas linéaire mais explosée chronologiquement. Le film est ainsi découpé sous formes de chapitres décrivant le parcours singulier d'un des protagonistes (flics, commerçants, voyous, caïds, simple habitant, etc.). Mais ses destinés sont interdépendantes les unes aux autres et tous finiront par se croiser, directement ou non, et plus violemment que cordialement. « Qu'il s'agisse des flics, des délinquants, des meurtres, des Juifs, des musulmans, des chrétiens, nous avons mis en commun tous les gens que nous avions croisés dans nos vies, toutes les histoires qu'on avait lues dans les journaux, et toutes celles dont nous avions été témoins » (Copti).

 

 

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Cela permet de traiter de sujets aussi dissemblables que la drogue, l'amour, la religion, la guerre des clans, le manque d'argent, les check-points israéliens, la famille, la haine Juifs / Arabes, la dureté du travail, la loi du quartier... Shani et Copti évitent les dangers du film choral en accordant une véritable épaisseur à tous leurs personnages, assurant une empathie non feinte à leurs égards.

Mais le véritable « héros » étant Ajami lui-même, ce quartier où l'atmosphère est aussi pesante que la chaleur est étouffante. A l'image de Collateral de Michael Mann où Los Angeles était le personnage principal, engloutissant le tueur à gage (Tom Cruise) et son otage (Jamie Foxx).

Par ailleurs, selon Shani « L'expérience du film a changé la vie de nombreux habitants. Au niveau individuel, ils ont sentis que, pour une fois, on s'intéressait à eux, qu'on ne les considérait plus comme des pestiférés ».


Une première bande-annonce, pour vous mettre dans le bain :


 

 

Deux bonnes heures ne sont pas de trop pour dessiner ce monde tout en relief et en aspérités où rien n'est simple : la complexité écrasant un manichéisme de bon aloi.

On pourrait y voir une thèse sociologique sur les rapports conflictuels régissant la vie de la cité et de drôles de surprises en guise de résultats : les logiques violentes des différents protagonistes peuvent être aisément comprises, sans pour autant être justifiées.

« En Israël, la violence, c'est un peu comme la pluie : on a beau la détester, lorsqu'elle tombe, on est mouillé de toute façon » (Copti).

 

Et une deuxième histoire de prolonger la descente :


 

 

Les deux réalisateurs sont arrivés à créer une œuvre d'art qui colle à la rétine. Un pur polar dans la veine glorieuse des meilleurs films américains, tout en conservant l'ambiance déstructurée et chaotique du cadre géographique et social. Loin d'être un film politique à charge, Ajami nous révèle la destinée tragique des habitants de ce faubourg mal considéré, grâce à une narration palpitante un montage atypique et excitant. Si l'on voulait, quand même, donner une teneur politique à la conclusion du film, on userait de la métaphore en affirmant qu'elle est sans issue, sans rien qui nous maintienne la tête hors de l'eau, que la situation va dans le mur à l'image de la fuite éperdue de ce garçon dont nous tairons le nom. Peut-on continuer à vivre lorsque tout nous est arraché ? Ou est-ce seulement survivre ? Ajami, un cauchemar bien réel, malgré ses sursauts d'espoirs, qui s'observe les yeux grands ouverts. De peur de sombrer...

 

Sylvain Métafiot

 

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