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samedi, 21 août 2010

La croissance non-économique ou l’illusion de la richesse

La croissance non-économique
ou l’illusion de la richesse

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S’il y a bien quelque chose qui semble faire consensus dans le paysage politique global, c’est que la croissance est une bonne chose. Mesurée par le PIB, elle indique la richesse absolue d’un pays, exprimée en dollars réels.

 

En effet, qui peut être contre la richesse? Les conservateurs la veulent pour eux-mêmes, et les progressistes de tout acabit souhaitent la redistribuer. Mais dans tous les cas, on s’entend pour dire que mieux vaut une plus grande tarte qu’une plus petite, qu’il s’agisse de la partager ou pas. Un utilitariste simpliste pourrait dire que c’est ainsi que l’on maximise le bonheur, peu importe les sensibilités idéologiques des uns et des autres...


images24.jpgPourtant, il y a anguille sous roche: cette idée de la croissance est foncièrement inadéquate. Elle est viciée parce que sa définition manque d’un critère pourtant essentiel à toute réflexion économique. Il s’agit de l’optimalité.


En microéconomie, il est entendu depuis les travaux d’Alfred Marshall (1842-1924) que la notion d’équilibre entre l’offre et la demande dans un marché sectoriel reflète un état qui produit la plus grande utilité. Lorsque les quantités offerte et demandée sont égalisées, grâce à un prix d’équilibre, l’allocation des ressources rares est dite optimale.

 

Plus précisément, l’optimalité désigne un état (quantité demandée, quantité offerte et prix d’équilibre) où les bénéfices marginaux et les coûts marginaux sont à la fois minimisés et égalisés. Il y a sub-optimalité lorsque les bénéfices marginaux dépassent les coûts marginaux (on gagne à augmenter le volume transigé). Inversement, il y a sur-optimalité lorsque les coûts marginaux dépassent les bénéfices marginaux (on gagne à diminuer le volume transigé).

 

En macroéconomie, les choses se compliquent. Vilfredo Pareto (1848-1923) a suggéré que l’on pourrait aussi appliquer ce concept au marché dans son ensemble. L’allocation des ressources d’une société serait dite pareto-optimale s’il était impossible d’améliorer l’utilité de quelqu’un sans diminuer l’utilité de quelqu’un d’autre. De nombreux auteurs ont cependant démontré que si la théorie de l’équilibre général est possible en abstraction en raison de certains postulats hautement restrictifs, elle ne s’applique en aucun cas à l’économie réelle. Quoi qu’il en soit, l’optimalité demeure un concept fondamental de la réflexion économique.

 

Avons-nous déjà entendu parler d’un PIB optimal? Il appert que non, mais peut-être devrions nous nous questionner davantage. D’abord, l’optimalité est impossible à atteindre dans l’économie réelle. Il en est ainsi puisqu’il existe de nombreuses externalités qui brouillent le processus de décision des acteurs. Ces externalités sont des bénéfices et des coûts qui ne sont pas comptabilisés par les transactions économiques, et qui par conséquent ne sont pas reflétés par le mécanisme des prix. Lorsqu’une activité économique génère des externalités négatives, le volume transigé est toujours sur-optimal.

 

La croissance économique ne dit pas son nom lorsqu’elle n’intègre pas dans ses calculs les coûts économiques liés à la dégradation grave et peut-être irréversible de l’environnement. Le chiffre que nous vantent institutions économiques et gouvernements pour dire notre richesse collective serait en somme un PIB brut.

 

Selon l’économiste Herman E. Daly (né en 1938, et fondateur d’une nouvelle approche économique inspirée des travaux Nicholas Georgescu-Roegen, la ecological economics), les coûts de la croissance en surpasseraient les bénéfices depuis le début des années 1980. Si bien que le PIB net, lui, serait en diminution depuis. La crise écologique prend de l’ampleur, et les conséquences des changements climatiques, de l’acidification des océans, de la perte de biodiversité, de la pollution chimique et physique, de l’amincissement de la couche d’ozone, de l’érosion des sols arables, de la déforestation et autres dégradations majeures de l’environnement planétaire représentent des coûts économiques titanesques. Mais ces dégradations ne peuvent pas être seulement comprises en fonction des coûts économiques qu’elles représentent. Il s’agit aussi de torts moraux.

 

En effet, que vaut un environnement sain? Un environnement sain fait la différence entre la vie et la survie. Entre les lumières de la civilisation et la poursuite de son plan de la vie bonne (Rawls), et une vie d’errance et de misère, dans un environnement inhospitalier. La différence entre ces deux scénarios? La dignité. Ou encore le respect que nous avons pour la valeur morale fondamentale de la personne humaine. Et les gens qui ont une sensibilité éthique qui n’est pas exclusivement anthropocentrique pourraient aussi mentionner la valeur intrinsèque des autres animaux, espèces et écosystèmes.

 

L’accès à un environnement sain est un droit humain fondamental. Valable ici et maintenant, mais aussi partout, depuis toujours et pour toujours. Les générations futures réclameraient le respect de ce droit si elles avaient la parole. Les réfugiés climatiques d’aujourd’hui et de demain aussi. On peut même arguer qu’il s’agit du droit humain le plus fondamental. En effet, sans lui les droits civiques, politiques, sociaux et culturels impossibles, impensables. Sans civilisation, quel droit sinon celui du plus fort?

 

L’à-propos du scepticisme de bon aloi appartient à un temps désormais révolu. Quiconque a des yeux pour voir et une tête pour penser conviendra que la crise écologique est le plus grand défi de l’histoire de l’humanité. Et le plus pressant.

 

Selon Herman E. Daly, les politiques économiques des gouvernements ont été conçues jusqu’à maintenant pour gérer deux grands problèmes: a) l’allocation (efficience) et b) la distribution (équité). Il nous faut maintenant comprendre que l’activité économique a des limites écologiques. Si bien que le problème le plus immédiat des politiques économiques du XXIe siècle est celui de c) l’échelle (le volume maximal de input et de output d’une économie globale). Que nos élites le reconnaissent ou non. Il s’agit d’un fait.

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La démocratisation du crédit a donné l’illusion de la richesse aux classes moyennes, en reportant à plus tard l’échéance du paiement final. Un calcul économique déficient, qui ne prend pas en considération les gigantesques externalités négatives (qui, de plus, sont croissantes) liées à la dégradation de l’environnement, nous voile encore davantage le regard. Les objets et services que nous consommons pourraient être jusqu’à 10 fois plus chers si leur structure de prix pouvait en intégrer les coûts externes. Certains diront que c’est trop cher payer. Mais dites-moi, à combien devrions-nous chiffrer la vie milliards de personnes, l’existence de millions d’animaux et d’innombrables écosystèmes? Et même, la vie d’une seule personne? Car c’est bel et bien cet  arbitrage que nous devons faire: entre la vie et la survie, entre la dignité la plus essentielle et le luxe du superflu.

 

Si un environnement sain a une valeur économique et morale plus importante que le matériel de dernier cri qui nous entoure, alors nous devons presser les gouvernements de mettre fin à cette escalade morbide. Encore plus, nous devrions faire du respect du droit fondamental à un environnement sain une condition essentielle de la légitimité de l’exécutif politique. Les gouvernements voyous pourraient être dissolus; les présidents et premiers ministres, destitués. De sorte que tous les acteurs politiques devraient se plier aux mêmes règles du jeu. Exunt les problèmes d’action collective dans les arènes parlementaires et partisanes. Réformer les institutions politiques pour modifier le comportement des élus, tel est notre meilleur espoir.

 

Parce que la vraie richesse est ailleurs. Pas dans la soi-disant croissance économique, mais dans la vie elle-même et ses conditions de possibilité.


Simon Guertin-Armstrong

 

Commentaires

 

Quelles solutions ?
La radicale décroissance ou la plus raisonnable économie sociale et solidaire permettant de dépasser un modèle économique brutal qui peine fortement à être moralisé (comme si les traders et autres parasites avaient quelque chose à faire de la morale...)

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