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lundi, 13 septembre 2010
Echec et Mat !
Le joueur d’échec de Stefan Zweig est un classique de la littérature. Certainement l’œuvre la plus connue de l’écrivain autrichien (malgré la complexité des mises en abymes narratives), ce petit chef d’œuvre nous entraîne à bord d’une croisière un brin particulière. C’est en effet, sur le paquebot qui va de New-York à Buenos Aires qu’un inconnu va défier le champion du monde des échecs, le grand et arrogant Mirko Czentovic. Mais l’intérêt ne réside pas tant dans le duel tant attendu que dans l’histoire bouleversante de l’apprentissage des échecs par ce mystérieux inconnu, il y a de cela vingt ans. A la limite de la folie et de l’horreur, le récit dévoile petit à petit les lourds secrets des personnages, éclairant l’époque sombre de la parution du livre (les années 40) d’un témoignage lourd de conséquences.
Etant moi-même amateur du plus vieux jeu au monde, je ne puis résister à l’envie de vous citer le passage où le narrateur parle du jeu d’échec : « Comment se figurer l’activité d’un cerveau exclusivement occupé, sa vie durant, d’une surface composée de soixante-quatre cases noires et blanches ? Assurément je connaissais par expérience le mystérieux attrait de ce « jeu royal », le seul entre tous les jeux inventés par les hommes, qui échappe souverainement à la tyrannie du hasard, le seul où l’on ne doive sa victoire qu’à son intelligence ou plutôt à une certaine forme d’intelligence. Mais n’est-ce pas déjà le limiter injurieusement que d’appeler les échecs un jeu ? N’est-ce pas aussi une science, un art, ou quelque chose qui, comme le cercueil de Mahomet entre ciel et terre, est suspendu entre l’un et l’autre, et qui réunit un nombre incroyable de contraires ? L’origine s’en perd dans la nuit des temps, et cependant il est toujours nouveau ; sa marche est mécanique, mais elle n’a de résultats que grâce à l’imagination ; il est étroitement limité dans un espace géométrique fixe, et pourtant ses combinaisons sont illimitées. Il poursuit un développement continuel, mais il reste stérile ; c’est une pensée qui ne mène à rien, un art qui ne laisse pas d’œuvre, une architecture sans matière ; et il a prouvé néanmoins qu’il était plus durable, à sa manière, que les livres ou tout autre monument, ce jeu unique qui appartient à tous les peuples et à tous les temps, et dont personne ne sait quel dieu en fit don à la terre pour tuer l’ennui, pour aiguiser l’esprit et stimuler l’âme. Où commence-t-il, où finit-il ? Un enfant peu en apprendre les premières règles, un ignorant s’y essayer et acquérir, dans le carré limité de l’échiquier, une maîtrise d’un genre unique, s’il a reçu ce don spécial. La patience, l’idée subite et la technique s’y joignent dans une certaine proportion très précise à une vue pénétrante des choses, pour faire des trouvailles comme on en fait dans les mathématiques, la poésie, ou la musique – en se conjuguant simplement peut-être, d’une autre façon. Jadis, la passion de la physiognomonie eût peut-être poussé un Gall à disséquer les cerveaux des champions d’échecs d’une telle espèce pour voir si la matière grise de pareils génies ne présentait pas une circonvolution particulière qui la distinguât des autres, une sorte de muscle ou de bosse des échecs. »
Il serait, par ailleurs, fort inapproprié de ne pas évoquer l’essai de René Alladaye, Petite philosophie du joueur d’échecs. Divisés en cinq chapitres (« L’art de la guerre », « Les figures du pouvoir », « La quête de la vérité », « Visions du temps », « Esthétique sur deux couleurs »), l’ouvrage de ce professeur de littérature américaine (Toulouse II) explore les versants philosophiques, esthétiques et sportifs du « noble jeu ».
Je vous laisse avec la quatrième de couverture : « Il serait difficile d’imaginer deux activités plus cérébrales – entendez ennuyeuses ! – que les échecs et la philosophie. Le défi qui anime cette Petite philosophie du joueur d’échecs est de les réunir sous un même étendard : celui de la passion, pour les rendre accessibles et familiers à tout un chacun. Les échecs comme la philosophie sont un art de la réflexion, un échange d’idées, un dialogue, un débat dans lequel chacun tente de démontrer que sa théorie est « la vraie ». L’un comme l’autre sont, aussi, la recherche d’une harmonie, jalonnée d’aventures. Ce livre propose de partir à la découverte de la philosophie et des échecs à travers la pensée de grands philosophes comme Platon, Descartes et à travers l’expérience de grands maîtres des échecs tels Kasparov, Fischer. La philosophie est une promenade qui nous conduit sur d’étonnants chemins de traverse et, pour paraphraser Pierre Mac Orlan, il y a plus d’aventures sur un échiquier que sur toutes les mers du monde ».
Bonnes lectures et bon jeu.
Sylvain Métafiot
17:26 Publié dans Littérature | Tags : echec et mat !, stefan zweig, classique, le joueur d'échec, petite philosophie du joueur d'échec, rené alladaye, littérature, sylvain métafiot | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
ça donne envie de reprendre les échecs, une personne que j'ai pu rencontrer et fan des échecs me disait toujours que "les échecs représentent complétement la vie, certains s'y lancent à bras le corps, d'autres patientent pour obtenir la victoire" il me disait aussi que chaque partie d'échecs est unique c'est ce qui fait la force de ce jeu".
Par ailleurs, il me semblait que le GO le jeu chinois similaire était bien plus vieux.
Bel article et livre qui figure d'ores et déjà sur ma future liste d'achats !
J'oubliais au passage, c'est aujourd'hui un ordinateur qui est champion du monde, et il tentera le doublé d'ici juillet 2011 à suivre donc (ordinateur d'IBM). L'intelligence artificielle nous dépassera-t-elle tous ? je m'éloigne un peu du sujet mais je tenais à le signaler quand même !
Écrit par : Didier | lundi, 13 septembre 2010
Ce qui est inquiétant avec cette histoire c'est que l'intelligence artificielle serait plus grande que la nôtre. Ce qui est indéniablement le cas en termes de puissance de calcul.
Heureusement, et cela est d'autant plus rassurant, l'ordinateur, aussi puissant soit-il, ne pourra jamais improviser.
Henri Bergson, dans "l'évolution créatrice", disait justement : "L'intelligence laisse échapper ce qu'il y a de nouveau, n'admet pas l'imprévisible, elle rejette toute création." C'est bien la description de la prévisibilité inhérente à l'ordinateur.
Kasparov, contrairement à Deep Blue, avait un style, une manière bien particulière de jouer. C'est ce qui faisait de lui un être singulier et unique.
Mieux vaut perdre en tant qu'humain que gagner en tant que machine.
Écrit par : Sylvain | samedi, 18 septembre 2010
Et mieux vaut vivre en tant qu'humain que mourir en tant que machine ! philosophie du comptoir bonsoir :p
Écrit par : Didier | lundi, 20 septembre 2010
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