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mardi, 28 juin 2011
Politique-fiction
Tiens, et si on jouait à la politique ? On dirait que moi je suis le Président et toi mon Premier ministre. Hein, qu’est-ce que t’en dis ? Voila, en substance, ce qu’Alain Cavalier aurait pu dire à Vincent Lindon avant qu’ils commencent ensemble cet étrange film qu’est Pater, mi-documentaire intimiste, mi-fiction politique (à moins que ce ne soit un documentaire politique parsemé de fiction intimiste, je ne sais plus), qui fait sourire autant qu’il émeut et qui ne cesse d’embrouiller le spectateur. Et on les regarde s’amuser comme des gamins, à jouer au Chef de l’Etat et au Chef du gouvernement (à moins que ce ne soit au papa et au fiston, je ne sais vraiment plus), sous nos yeux ébahis de tant de candeur et d’ironie. On se dit « c’est un véritable foutage de gueule ! Ils se moquent de nous ! », mais non, on se laisse attendrir par l’autodérision et contaminer par la drôlerie des situations. Et là, on a repense à La Conquête…
Sortis à quelques semaines d’intervalles, les deux films sont évidemment sujets à comparaison, voire à confrontation. Pater est à des années-lumière de La Conquête, tant par la forme que par le fond. Pour revenir rapidement sur le film de Xavier Durringer, outre le bonheur de se délecter du jeu des acteurs (notamment le trio Podalydès/Sarkozy, Le Coq /Chirac, Labarthe/Villepin, tous parfait) et de se remémorer les actes peu brillants de nos politicards préférés il n’y a pas si longtemps de cela, il manque pourtant une chose essentielle : la politique. Plutôt embétant pour le premier film français centré sur un Président en exercice… A la place d’une réflexion digne de ce nom on a droit à une comédie à l’italienne sans le charme de la comédie à l’italienne (ah l’insupportable musique pétillante !), relatant une lutte de pouvoir, incarné par des égos, façon Guignols de l’Info. Bref, très en dessous des attentes que l’on pouvait espérer.
Pater c’est autre chose. Une entreprise beaucoup moins prétentieuse que La Conquête mais qui touche davantage, notamment par ses mises en abyme. Une sorte d’autofiction servant de prétexte pour aborder des sujets politiques déroutants, sans devenir un brulot polémique pour autant. On disserte, et on gueule, sur le capitalisme et ses méfaits (air connu), la petitesse des propriétaires (pléonasme) ou la réattribution de la légion d’honneur aux évadés fiscaux (à la bonne heure !). Mais l’ordre du jour qui revient constamment sur la table c’est celui de la limitation des hauts salaires. Il faut fixer une limite, c’est entendu, mais à quelle proportion ? Mr le Président et Mr le Premier ministre ne sont pas totalement d’accord sur l’écart entre le salaire minimum et le salaire maximum. Désaccord (des accords ?) parfaits entre le chef cuisinier Cavalier qui regarde mijoter, et parfois bouillir, son Lindon en sauce lors d’entretiens piqués sur le vif. L’improvisation est-elle totale ? Le naturel est-il véritablement happé ? Aucune idée. On aimerait répondre oui, dans le doute, mais rien n’est moins sûr. Les rires des personnages ne sont pas contrôlés mais les pistes n’en sont pas moins soigneusement entremêlées.
Et puis, quel délice de voir déambuler Lindon et ses cravates en laine, nous exposer sa « collection » de chaussures (pardon, souliers), d’assister aux repas de fins gourmets chez l’un, chez l’autre ou en forêt, de les voir tous s’affairer à gagner une campagne présidentielle imaginaire, de s’amuser de Cavalier filmant avec tendresse son chat, ou encore de Vincent imitant Alain, le Premier ministre imitant et raillant le Président. L’état d’esprit idéal pour visionner cette bizarrerie est encore celle que l’on avait devant un film familial où l’on retrouvait ses proches faisant parfois les zouaves devant la caméra, s’inventant des personnages, essayant de paraître naturel sans trop y parvenir, jouant la comédie avec bonheur en somme tout en laissant transparaître de purs instants de vérité. Souvent entre un père et son fils, se filmant l’un après l’autre à bout de bras.
Bon, la supercherie est évidente, mais Dieu qu’on aimerait avoir un Président comme Alain Cavalier en France, ce pater familial et espiègle, à l’instar de Jed Bartlet aux Etats-Unis. A moins que Lindon emporte l’investiture suprême pour notre plus grande joie. Rendez-vous en 2012. Puissance de la fiction sur la réalité…
Il faudra désormais attendre L’Exercice de l’Etat, le très prometteur film de Pierre Schoeller, à l’automne prochain, pour revenir à la pure fiction politique. Quitte à ce qu’elle dépasse, pour une fois, la réalité.
Sylvain Métafiot
02:00 Publié dans Cinéma | Tags : pater, alain cavalier, vincent lindon, pouvoir, autofiction, politique-fiction, documentaire, ironie, la conquête, politique, sarkozy, sylvain métafiot | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Un excellent article du Dr Orlof qui soutient que le coeur du film n'est pas tant la politique que les mécanismes de la fiction : http://drorlof.over-blog.com/article-si-j-etais-president-79767530.html
Et il n'a pas tort.
Écrit par : Sylvain | mardi, 10 janvier 2012
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