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mercredi, 14 septembre 2011
Eloge de l’EdN
« Comme passent une époque et sa chance,
La mémoire cherche à renouer
Le fil du temps
Pour sortir
Du
Labyrinthe de
Trouble et de griefs
Dont le suspens d’une révolution
Inachevée prolonge indéfiniment les détours »
Discours préliminaire de l’Encyclopédie des Nuisances (novembre 1984)
EdN ou Encyclopédie des Nuisances : certainement l’entreprise intellectuelle et éditoriale la plus élaborée, la plus revigorante, la plus ébranlante de ces vingt-cinq dernières années. Sous l’égide de Jaime Semprun (bien moins connu que son père Jorge mais non moins doué quand à la qualité d’écrivain) et inspirés par l’Internationale situationniste, l’EdN a fait paraître une quinzaine de fascicules entre 1984 et 1992, avant de devenir une maison d’édition en 1991. Il est à noter que tous les ouvrages sont composés sur linotype avec des caractères de plomb : une merveille d’impression.
Le projet de l’EdN et de sa maison d’édition ? La recension des nuisances, tant physiques que spirituelles, de notre monde moderne pour mieux les affronter dans une lutte à mort. Notamment, un combat féroce contre la technique, le capitalisme, le spectacle, le gauchisme, l’écologisme, le citoyennisme, et autres tares contemporaines. L’EdN cultive un brio pamphlétaire à travers l’exigence intellectuelle, la rigueur historique et le refus pur et simple de tout compromis avec le système médiatique et institutionnel : pas d’interviews, pas d’honneurs, pas de partenariats, pas de photos, pas de pub, etc. En somme, et pour reprendre les propos d’Annie LeBrun sur le peintre surréaliste tchèque Toyen qui s’accordent parfaitement à la volonté combative de Jaime Semprun et ses compagnons, l’EdN représente « la volonté intransigeante de ne pas se rendre ». Annie LeBrun qui partage une certaine analogie de pensée avec l’EdN, sans jamais y avoir pourtant participé. Soyons tout de même prudent avec certaines filiations…
Mais arrêtons de vouloir paraître aussi majestueux que le Roi. C’est peine perdue. La meilleure définition du projet de l’EdN demeure encore dans son propre prospectus, édité en septembre 1984 :
« À la différence de celle qu’inspirent régulièrement le marché de l’édition ou l’idéologie d’État, notre Encyclopédie ne se prétend nullement l’héritière et la continuatrice du vieux projet des encyclopédistes du XVIIIème siècle. Le seul rapport qu’elle souhaite entretenir avec l’aspect positif de leur entreprise de recensement, c’est d’en renverser le sens, aussi radicalement que l’histoire à renversé celui du progrès matériel qui portait leurs espoirs. Ainsi, pensons-nous d’ailleurs redonner tout son emploi historique à la négation passionnée des chaînes de la superstition et de la hiérarchie qui animait ce qui n’aurait été sans elle qu’un bien morne catalogue. Dans cette perspective, seul un véritable Dictionnaire de la déraison dans les sciences, les arts et les métiers peut-il constituer aujourd’hui la matière d’une Encyclopédie digne de ce nom.
L’existence des nuisances étant constatée, elle n’appelle que trop rarement les conclusions qui s’imposent : parce qu’elles ne sont pas comprises dans leur extension (bien au-delà de la seule pollution industrielle) ni dans leur unité (comme production centrale d’une société en guerre contre ses propres possibilités).
Il importait donc de présenter sous un jour véridique les efforts incessants qu’accomplissent ces envahissantes conséquences de leurs actes pour persuader les hommes de la puissance qu’ils ont acquise et les convaincre que leurs déboires ne doivent rien qu’à eux-mêmes. Car à travers les plus horribles méfaits d’une production fièrement émancipée de tout ménagement pour un quelconque équilibre naturel comme pour toute harmonie ancienne d’un milieu humain, c’est encore la liberté possible d’une époque qui erre désastreusement, et qui précipite dans le malheur historique ce qui se maintenait encore hors du champ de l’activité humaine ou ce qui se perpétuait d’un passé qui fut meilleur. Voilà une réussite dont cette organisation sociale ne se vante pas, et c’est pourtant la seule incontestable. Nous allons tenter de lui donner la publicité qu’elle mérite, sans pour autant avoir la faiblesse de croire qu’en aidant par ce moyen nos contemporains à admettre qu’ils font, pour leur malheur, de part en part leur monde, nous pourrions en quelque sorte les contraindre à le faire librement : qui recherche la liberté pour autre chose que pour elle-même mérite la servitude.
Ainsi on ne trouvera pas ici un vulgaire inventaire des sujets de lamentation. Les gémissements écologistes de cette époque ne sont que des sophismes. Demander à l’Etat aide et protection revient à admettre par avance toutes les avanies que cet Etat jugera nécessaire d’infliger, et une telle dépossession est déjà la nuisance majeure, celle qui fait tolérer toutes les autres. Le problème n’est même pas que les gens aient ou non la capacité de gérer eux-mêmes directement l’organisation existante des forces matérielles, car cette gestion ne saurait de toute façon être meilleure que ce trouverait à gérer, mais qu’ils acquièrent la capacité de juger tout cela, pour pouvoir le transformer au nom de besoins plus riches, excédant le cadre actuellement imposé à l’usage de la vie. Dans ce but, il nous semble urgent de reconstruire les bases du jugement autonome des individus sur leur monde, au premier rang desquelles se trouvent la mémoire historique et le langage, critique ou poétique, de la vie réelle. L’un des paradoxes de notre situation est que, dans l’actuelle décomposition de la société – cause et effet du renforcement permanent des contrôles étatiques et marchands –, il nous faut à la fois développer une critique qui mène au-delà de cet état de choses et reprendre à notre compte, préciser et approfondir, certaines qualités et valeurs que la bureaucratisation elle-même anéantit et qu’il avait semblé auparavant possible de directement dépasser dans l’abondance d’une construction libre de la vie.
Nous sommes ainsi, de quelque façon que l’on veuille nous considérer, d’une autre époque. Il ne dépend pas seulement de nous que cette époque soit en fait la prochaine, mais tout ce qui sera critiqué ici le sera cependant du point de vue de la liquidation sociale des nuisances matérielles et intellectuelles, pour reconstruire un tel point de vue, dont l’organisation présente de l’inconscience historique se croit prématurément débarrassée.
“Jamais il n’a été aussi difficile de comprendre le monde“, proclame avec outrecuidance une des publications aux prétentions encyclopédiques qui se font fort de l’expliquer à ses malheureux habitants. Quand à nous, nous ne proposons rien de tel, mais seulement de rendre concrètement sensible comment ce monde contient toujours la possibilité historique d’être transformé de fond en comble, pour devenir ainsi compréhensible par l’abolition des bases sociales du secret hiérarchique et du savoir spécialisé ; et comment il nie et combat cette possibilité. »
Que l’on soit d’accord ou non avec les multiples regards ultra-critiques que l’EdN pose sur notre société industrielle et marchande n’est pas fondamental. L’important est de sentir un frisson nous parcourir l’échine qui explose en un violent électrochoc mental lorsque certaines de nos convictions les plus profondes sont rageusement mises à terre et allégrement piétinées par une puissance rhétorique inouïe mêlant une beauté de la langue (certainement la plus sublime qu’il nous est donné de lire dans le florilège des essais contemporains) et une pertinence argumentative acérée. Dans son prospectus, les éditions de l’EdN sont fière de publier des auteurs trop méconnus car essentiels (George Orwell, Miguel Amoròs, Günther Anders, Baudouin de Bodinat, Bernard Chardonneau, Jacques Fredet, Sophie Herszkowicz, Jean Levi, William Morris, René Riesel…) et autant fière, si ce n’est plus, de NE PAS publier d’autres auteurs beaucoup trop surestimés et surmédiatisés : Giorgio Agamben, Alain Badiou, Louis Althusser, Pierre Bourdieu, Michel Onfray, Roland Barthes, Jacques Derrida, Alain Finkielkraut, Antonio Negri, Jacques Rancière, Slavoj Zizek…
Une exigence éditoriale et une qualité intellectuelle que l’on retrouve dans la revue philosophique {L’autre côté}, à laquelle participe Jean-Marc Mandosio, une des figures majeures de l’EdN.
Mais comment rendre compte de cette constellation de libres-penseurs sans se vautrer dans le galvaudage, le contresens, la flagornerie, le poncif, la cuistrerie et autres tares de scribouillards contemporains (dont il serait bien prétentieux de s’exclure) ? Peut-être en citant l’hommage magnifique que Jean-Luc Porquet consacra à Jaime Semprun, dans Le Canard Enchaîné, lorsque celui-ci mourut en août 2010 : « Jaime Semprun était de ceux qui disent non. Qui sont contre. Pour qui la critique sociale est une nécessité vitale. […] On n'arrête pas le « progrès » ? Jaime et ses amis l'analysaient, perçaient son bluff, s'inscrivaient contre le nucléarisme, contre le TGV et son despotisme de la vitesse, contre la Très Grande Bibliothèque, contre les éoliennes, etc. Et argumentaient. Dans le camp d'en face, rien d'autre qu'une pensée magique (« Le progrès, c'est forcément bien ») et l'increvable mystique de la croissance. Chez eux, l'exercice de la raison, le déboulonnage des idoles, la volonté d'en finir avec la fausse conscience généralisée. […] Semprun avait l'exécration généreuse. Et BHL, Sollers, les insurrectionnistes-qui-viennent, les citoyennistes, tous des jean-foutre à ses yeux. […] En dehors, secret mais doué pour l'amitié, polémiste sans être sectaire, il était la rectitude même: irréductible. »
Peut-être également en laissant parler les auteurs publiés en reproduisant, en partie, le catalogue de l’Encyclopédie des Nuisances (2009).
DIALOGUES SUR L’ACHEVEMENT DES TEMPS MODERNES de Jaime Semprun
« Il n’est pas besoin d’être particulièrement porté à la critique pour s’apercevoir que l’affranchissement apporté par l’époque bourgeoise a sombré dans une absurdité irrémédiable. Chaque progrès apparaît foncièrement vicié et en règle générale tout ce qui devrait faciliter la vie la dévore. L’idée que le processus historique commencé à la Renaissance puisse connaître un aboutissement heureux est si bien discréditée qu’on peut dire que les Temps Modernes ont atteint leur point de perfection, la perfection étant précisément la qualité de ce qui ne peut plus être amélioré. Les Temps Modernes sont donc achevés : ils avaient commencé dans les villes, ils finissent avec elles. »
ESSAIS ARTICLES LETTRES Volume I (1920-1940) de George Orwell (en coédition avec Ivrea)
« Ce qui me pousse au travail, c’est toujours le sentiment d’une injustice, et l’idée qu’il faut prendre parti. Quand je décide d’écrire un livre, je ne me dis pas : « Je vais produire une œuvre d’art. » J’écris ce livre parce qu’il y a un mensonge que je veux dénoncer, un fait sur lequel je veux attirer l’attention, et mon souci premier est de me faire entendre. » (Pourquoi j’écris)
REMARQUES sur LA PARALYSIE de DECEMBRE 1995 (EdN)
« Ce qui a effleuré au cours de ce mois de décembre, c’est précisément le sentiment, en temps normal censuré par la routine, que le passé n’éclaire plus l’avenir, et que tout simplement personne ne sait ce qui va arriver ; tout le monde sentant que n’importe quoi peut sortir du chaudron de sorcière du capitalisme, à commencer bien sûr par le pire. Les princes charmants de la publicité se sont transformés en crapauds, et les crapauds sont en train de muter en quelque chose d’autre, de jamais vu sous le soleil. La parenthèse de l’euphorie marchande, du bonheur garanti et de l’intégration pour tous, cette parenthèse se referme. Et l’idée se répand que le capitalisme, après avoir détruit tout ce qui jusque-là avait donné un sens à la vie humaine, nous a conduit au bord de l’abîme, sans cesser pour autant de nous inviter à “faire un grand pas en avant“. »
L’AGE DE L’ERSATZ et autres textes contre la civilisation moderne de William Morris
« De même que l’on nomme certaines périodes de l’histoire l’âge de la connaissance, l’âge de la chevalerie, l’âge de la foi, etc., ainsi pourrais-je baptiser notre époque “l’âge de l’ersatz“. En d’autres temps, lorsque quelque chose leur était inaccessible, les gens s’en passaient et ne souffraient pas d’une frustration, ni même n’étaient conscients d’un manque quelconque. Aujourd’hui en revanche, l’abondance d’informations est telle que nous connaissons l’existence de toutes sortes d’objets qu’il nous faudrait mais que nous ne pouvons posséder et donc, peu disposés à en être purement et simplement privés, nous en acquérons l’ersatz. L’omniprésence des ersatz et, je le crains, le fait de s’en accommoder forment l’essence de ce que nous appelons civilisation. »
ESSAIS ARTICLES LETTRES Volume II (1940-1943) de George Orwell (en coédition avec Ivrea)
« Le totalitarisme a étouffé la liberté de pensée à un point encore jamais vu. Et il importe de comprendre que sa mainmise sur la pensée s’exerce de manière non seulement négative mais aussi positive. Le totalitarisme ne se contente pas de vous interdire d’exprimer – et même de concevoir – certaines pensées : il vous dicte ce que vous devez pensez, il crée l’idéologie qui sera la vôtre, il s’efforce de régenter votre vie émotionnelle et d’établir pour vous un code de comportement. Il met tout en œuvre pour vous isoler du monde extérieur, vous enfermer dans un univers artificiel où vous n’avez plus aucun point de comparaison. L’Etat totalitaire régit, ou en tout cas essaie de régir, les pensées et les sentiments de ses sujets au moins aussi complètement qu’il régit leurs actes. » (Littérature et totalitarisme)
GEORGE ORWELL DEVANT SES CALOMNIATEURS Quelques observations (EdN et Ivrea)
« Si l’école stalinienne de la falsification reste un modèle pour notre époque, c’est par son objectif principal, plus encore que par ses procédés particuliers. On sait, en effet, que la propagande totalitaire n’a pas besoin de convaincre pour réussir et même que ce n’est pas là son but. Le but de la propagande est de produire le découragement des esprits, de persuader chacun de son impuissance à rétablir la vérité autour de soi et de l’inutilité de toute tentative de s’opposer à la diffusion du mensonge. Le but de la propagande est d’obtenir des individus qu’ils renoncent à la contredire, qu’ils n’y songent même plus. Cet intéressant résultat, l’abasourdissement médiatique l’obtient très naturellement par le moyen de ses mensonges incohérents, péremptoires et changeants, de ses révélations fracassantes et sans suite, de sa confusion bruyante de tous les instants. »
L’ABIME SE REPEUPLE de Jaime Semprun (texte disponible, avec quelques coquilles, ici)
« Parmi les choses que les gens n’ont pas envie d’entendre, qu’ils ne veulent pas voir alors même qu’elles s’étalent sous leurs yeux, il y a celles-ci : que tous ces perfectionnements techniques, qui leur ont si bien simplifié la vie qu’il n’y reste presque plus rien de vivant, agencent quelque chose qui n’est déjà plus une civilisation ; que la barbarie jaillit comme de source de cette vie simplifiée, mécanisée, sans esprit ; et que parmi tous les résultats terrifiants de cette expérience de déshumanisation à laquelle ils se sont prêtés de si bon gré, le plus terrifiant est encore leur progéniture, parce que c’est celui qui en somme ratifie tous les autres. C’est pourquoi, quand le citoyen-écologiste prétend poser la question la plus dérangeante en demandant : “Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?“ il évite de poser cette autre question, réellement inquiétante : “A quels enfants allons-nous laisser le monde ?“ »
LA SOCIETE INDUSTRIELLE ET SON AVENIR de Theodore Kaczynski
« Alors que le progrès technologique dans son ensemble restreint continuellement notre liberté, chaque nouvelle avancée technologique considérée séparément semble désirable. Que peut-on reprocher à l’électricité, à l’eau courante, au téléphone ou à n’importe laquelle des innombrables avancées technologiques, qu’a effectuées la société moderne ? Il aurait absurde de s’opposer à l’introduction du téléphone : il offrait de nombreux avantages, et aucun inconvénient. Pourtant […] tous ces progrès technologiques pris dans leur ensemble ont crée un monde où le sort de l’homme de la rue ne dépend plus de lui-même, ni de ses voisins et de ses amis, mais des politiciens, des cadres d’entreprise, des techniciens anonymes et des bureaucrates sur lesquels il n’a aucun pouvoir. Ce processus va se poursuivre. Prenons la génétique : peu de gens s’opposeront à l’introduction d’une technique génétique éliminant une maladie héréditaire. Cela ne cause aucun tort apparent et évite beaucoup de souffrances. Pourtant, la génétique prise dans son ensemble fera de l’espèce humaine un produit manufacturé au lieu d’une création libre du hasard – ou de Dieu, ou autre, selon les croyances. »
RELEVE PROVISOIRE DE NOS GRIEFS contre LE DESPOTISME DE LA VITESSE à l’occasion de l’extension des lignes du TGV par l’Alliance pour l’opposition à toutes les nuisances
« Nombre d’arguments sensibles autrefois utilisés contre les premiers trains peuvent l’être aujourd’hui, à bien meilleur escient encore, contre le TGV. D’autant plus que son implantation ne comporte cette fois aucune contrepartie ; au contraire, elle contribue à un nouvel enclavement de régions entières, à la désertification de ce qu’il reste de campagne, à l’appauvrissement de la vie sociale. Et ce n’est pas dans la classe dominante, où tout le monde désormais travail d’arrache-pied et joue des coudes pour rester dans la course économique, que l’on se risquera à juger tout cela à partir de goûts personnels, sans parler d’avancer quelque vérité historique que ce soit. Il faut donc qu’à l’autre pôle de la société des individus que ne presse aucun intérêt carriériste d’aucune sorte, pas même en tant que “contre-experts“ ou opposants officiels, se chargent d’énoncer toutes les bonnes raisons, tant subjectives qu’objectives, de s’opposer à cette nouvelle accélération de la déraison. »
ESSAIS ARTICLES LETTRES Volume III (1943-1945) de George Orwell (en coédition avec Ivrea)
« Cette acception de la pure et simple malhonnêteté a une signification bien plus profonde que la vénération de la Russie qui se trouve être en ce moment à la mode. Il fort possible que cette mode-là ne dure guère. D’après tout ce que je sais, il se peut que, lorsque ce livre sera publié, mon jugement sur le régime soviétique soit devenu l’opinion généralement admise. Mais à quoi cela servira-t-il ? Le remplacement d’une orthodoxie par une autre n’est pas nécessairement un progrès. Le véritable ennemi, c’est l’esprit réduit à l’état de gramophone, et cela reste vrai que l’on soit d’accord ou non avec le disque qui passe à un certain moment. » (Préface inédite à Animal Farm)
REMARQUES sur L’AGRICULTURE GENETIQUEMENT MODIFIEE et LA DEGRADATION DES ESPECES (EdN)
« La réalisation de ce programme de remaniement génétique de la nature et de l’humanité supposerait une société stable et prospère durant la longue période de sa mise en application ; mais une telle société équilibrée, régulière et réellement soucieuse de la santé de ses populations, de la gestion rationnelle des ressources, etc. ne se lancerait sans doute pas dans une telle aventure : elle n’en aurait aucun besoin. C’est justement parce qu’il n’en est rien, qu’elle ne sait même pas ce que lui réservent dans moins d’un an les systèmes automatisés auxquels elle a confié son sort, ou les perturbations climatiques qu’elle a engendrées, que la société mondiale se réfugie dans ces rêves éveillés où elle voit sa recherche scientifique résoudre magiquement toutes les contradictions en quoi elle se désagrège. »
L’EFFONDREMENT de la TRES GRANDE BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE France Ses causes, ses conséquences de Jean-Marc Mandosio
« Et même aujourd’hui, alors que l’échec est constatable par tous, on n’ose pas en tirer les conclusions qui s’imposent. Tout scepticisme devrait être dissipé sur la “bibliothèque d’un type entièrement nouveau“ – chacun peut voir désormais de quelle nouveauté il s’agissait –, mais on préfère la plupart du temps s’attarder sur des détails, tourner autour du pot, maintenir la fiction d’erreurs finalement annexes n’entachant pas la validité du grandiose projet. La vérité est au contraire que tous ces “dysfonctionnements“ découlent très logiquement, dans leurs grandes lignes, du projet lui-même et en constituent la réussite […]. Ainsi, après avoir rendu les livres inaccessibles, la T.G.B.N.F n’aura plus qu’à supprimer le lecteur pour réaliser pleinement ses objectifs. Elle sera alors définitivement au-dessus de toute critique, comme tant d’autres résultats de cette marche forcée vers une modernité qu’il ne cesse d’être trop tôt pour juger que lorsqu’il est trop tard pour revenir en arrière. »
LA VIE SUR TERRE Réflexions sur le peu d’avenir que contient le temps où nous sommes de Baudouin de Bodinat
« Et lorsque certains matins les traces des routes aériennes ne s’effacent pas mais s’entrecroisent et se raturent en un palimpseste compliqué, nous ne prenons pas la peine d’y lire notre horoscope collectif tracé de cette façon dans le ciel et d’en déchiffrer la prédiction : nous avons plus urgent ; et y penserions-nous que le plus simple serait encore d’allumer la radiovision ou d’ouvrir le journal pour trouver la solution dévoilée en titre modeste de page intérieure : la moitié de l’Indonésie vient de partir en fumée. » (Tome second)
APRES L’EFFONDREMENT Notes sur l’utopie néotechnologique de Jean-Marc Mandosio
« Prôner la suppression de l’humanité comme réalisation de la liberté humaine – ce que font, par des voies différentes, aussi bien certains penseurs “radicaux“, pour qui le mode de vie des australopithèques représente l’avenir du genre humain, que les prophètes hallucinés du cyborg, cet hybride homme-machine, ou encore ceux qui prétendent remodeler l’humanité en bidouillant son génome –, c’est toujours, en fin de compte vouloir réaliser le même rêve : remplacer l’individu humain tel que nous le connaissons, gênant et maladroit, avec son intolérable lot d’imperfections, par quelque chose de nouveau et de meilleur, ce qui serait en effet la confirmation, tant attendue, de l’idéologie du progrès. […] Ceux qui annoncent, pour s’en réjouir ou pour s’en effrayer, un effondrement à venir de la civilisation se trompent : il a commencé depuis longtemps, et il n’est pas excessif de dire que nous nous trouvons aujourd’hui après l’effondrement. »
APOLOGIE POUR L’INSURRECTION ALGERIENNE de Jaime Semprun
« Quevedo a dit des Espagnols : “Ils ne surent pas être des historiens, mais il en méritèrent.“ Cela est resté vrai de leur révolution de 1936 : l’histoire en a été écrite par d’autres. Il est trop tôt pour écrire l’histoire de l’insurrection qui a commencé au printemps 2001 en Algérie, mais il n’est pas trop tard pour la défendre ; c’est-à-dire pour s’attaquer à l’épaisse indifférence, bouffie d’inconscience historique, dont elle est en France l’objet. Pour illustrer la grandeur et la portée de ce soulèvement, il suffira de relater les actes des insurgés et de citer leurs déclarations. Rapprochés selon leur signification la plus universelle et la plus vraie, les faits dessinent eux-mêmes un tableau dont se dégage une terrible moralité : la dignité, l’intelligence et le courage des insurgés algériens accablent l’abjection dans laquelle survivent les habitants des pays modernes, leur apathie, leurs mesquines inquiétudes et leurs sordides espérances. »
ESSAIS ARTICLES LETTRES Volume IV (1945-1950) de George Orwell (en coédition avec Ivrea)
« Une bonne part de ce que nous appelons plaisir n’est rien d’autre qu’un effort pour détruire la conscience. Si l’on commençait par demander : Qu’est-ce que l’homme ? Quels sont ses besoins ? Comment peut-il mieux s’exprimer ? on s’apercevrait que le fait de pouvoir éviter le travail et vivre toute sa vie à la lumière électrique et au son de la musique en boîte n’est pas une raison suffisante pour le faire. L’homme a besoin de chaleur, de vie sociale, de loisirs, de confort et de sécurité : il a aussi besoin de solitude, de travail créatif et de sens du merveilleux. S’il en prenait conscience, il pourrait utiliser avec discernement les produits de la science et de l’industrie, en leur appliquant à tous le même critère : cela me rend-il plus humain ou moins humain ? Il comprendrait alors que le bonheur suprême ne réside pas dans le fait de pouvoir tout à la fois et dans un même lieu se détendre, se reposer, jouer au poker, boire et faire l’amour. Et l’horreur instinctive que ressent tout individu sensible devant la mécanisation progressive de la vie ne serait pas considérée comme un simple archaïsme sentimental, mais comme une réaction pleinement justifiée. Car l’homme ne reste humain qu’en ménageant dans sa vie une large place à la simplicité, alors que la plupart des inventions modernes – notamment le cinéma, la radio et l’avion – tendent à affaiblir sa conscience, à émousser sa curiosité et, de manière générale, à le faire régresser vers l’animalité. » (Les lieux de loisir)
L’OBSOLESCENCE DE L’HOMME Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle (1956) de Günther Anders
« Tout le monde est d’une certaine manière occupé et employé comme travailleur à domicile. Un travailleur à domicile d’un genre pourtant très particulier. Car c’est en consommant la marchandise de masse – c’est-à-dire grâce à ses loisirs – qu’il accomplit sa tâche, qui consiste à se transformer lui-même en homme de masse. Alors que le travailleur à domicile classique fabriquait des produits pour s’assurer un minimum de biens de consommations et de loisirs, celui d’aujourd’hui consomme au cours de ses loisirs un maximum de produits pour, ce faisant, collaborer à la production des hommes de masse. Le processus tourne même résolument au paradoxe puisque le travailleur à domicile, doit au contraire de lui-même la payer, c’est-à-dire payer les moyens de production dont l’usage fait de lui un homme de masse (l’appareil et, le cas échéant, dans de nombreux pays, les émissions elles-mêmes). Il paie donc pour se vendre. Sa propre servitude, celle-là même qu’il contribue à produire, il doit l’acquérir en l’achetant puisqu’elle est, elle aussi, devenue une marchandise. »
LE JARDIN DE BABYLONE (1969) de Bernard Charbonneau
« Nous courons d’abord le risque, non négligeable, d’une destruction de l’homme par celle de son milieu ; car une bonne prospective ne doit pas oublier qu’un siècle de société industrielle n’est rien, et qu’elle vient juste de naître. Et même si la connaissance scientifique et la maîtrise technique du milieu humain devaient progresser au même rythme géométrique que sa destruction, il n’en reste pas moins que, pour sauver l’homme d’une destruction physique, il faudra mettre sur pied une organisation totale qui risque d’atrophier cette liberté, spirituelle et charnelle, sans laquelle le nom d’homme n’est plus qu’un mot. En dehors de l’équilibre naturel dont nous sommes issus – si les données actuelles ne changent pas –, nous n’avons qu’un autre avenir : un univers résolument artificiel, purement social. […] Mais, tels que nous sommes encore, qui de nous prétendrait sérieusement assumer un tel avenir ? Il nous faut l’infini du ciel sur la tête ; sinon nous perdons la vue, surtout celle de la conscience. Si l’espèce humaine s’enfonçait ainsi dans les ténèbres, elle n’aurait fait qu’aboutir, un peu plus loin, à la même impasse obscure que les insectes. »
DU PROGRES DANS LA DOMESTICATION de René Riesel
« Le cauchemar qui hante les nuits de la société industrielle, et les nôtres, évoque irrésistiblement le Prestige, ce pétrolier avarié en vue des côtes de Galice. On peut bien tenter de l’exorciser, de le remorquer au large comme fit le gouvernement espagnol : sa cargaison funeste revient toujours et quand le navire maudit finit par se briser et sombrer, c’est pour distiller plus durablement son poison. Notre cauchemar, à nous et à tous ceux qui ne s’accommodent pas d’écoper indéfiniment pour restaurer les apparences, durera aussi longtemps que domineront les voix consentantes de ceux qui supplient à répétition “Plus jamais ça !“ et prient pour être débarrassés de maux dont ils persistent à vouloir les causes. »
LES MAISONS DE PARIS Types courants de l’architecture mineure parisienne de la fin de l’époque médiévale à nos jours avec l’anatomie de leurs constructions de Jacques Fredet
« … les vraies archives en ce domaine, plus riches que toute pièce jointe aux habituels actes notariés ou inventaires de décès, sont constitués par les bâtiments eux-mêmes, encore marqués par l’empreinte d’habitants qui les ont continuellement adaptés à leur usage. Et ces témoins, qu’il faut prendre la peine d’interroger, c’est-à-dire de scruter et dessiner de fond en comble, on les a vus et on les voit encore disparaître par îlots, rues, quartiers entiers, au fil des exécutions sommaires qui se sont succédé depuis les années mil neuf cent soixante-dix. »
DANS LE CHAUDRON DU NEGATIF de Jean-Marc Mandosio
« Ce qui apparaît maintenant comme la faiblesse majeure des textes situationnistes – surtout ceux de Vaneigem – était à peine visible il y a trente ans ; bien plus, c’était précisément ce qui apparaissait à l’époque comme une de leurs grandes forces : la capacité (d’ordre exclusivement rhétorique) de faire considérer comme presque à portée de main des buts hors d’atteinte, de faire miroiter une résolution magique des contradictions dans un “dépassement“ inouï des conditions objectives. […] Le caractère irréalisable – utopique au sens fort du terme – du programme situationniste ne résulte pas seulement du penchant “idéaliste“ de Vaneigem. Il est également lié à un progressisme incitant à vouloir “sauver“ la société industrielle tout en abolissant la civilisation marchande, et aussi à un défaut de structure du système de pensée situationniste, rendant nécessaire le recours à la métaphore alchimique de la transmutation pour rendre compte du “renversement de perspective“ révolutionnaire. »
ELOGE DE L’ANARCHIE PAR DEUX EXCENTRIQUES CHINOIS Polémiques du troisième siècle traduites et présentées par Jean Levi
« Pour divers que soient les jugements qu’ils portent sur l’essence de la civilisation chinoise, il est deux points sur lesquels les spécialistes s’accordent. Le premier est que la Chine n’a jamais connu ni même imaginé qu’une seule forme de gouvernement, et le second que le débat d’idées tel qu’il se pratique en Occident depuis les Grecs n’y avait pas cours. Les traductions des trois polémiques que nous présentons ici ont pour premier objet d’apporter un démenti à ces assertions. »
DEFENSE ET ILLUSTRATION DE LA NOVLANGUE FRANCAISE de Jaime Semprun
« Je crois avoir dit tout ce qu’il raisonnablement possible de dire en faveur de la novlangue, et même un peu plus. Après cela, je ne vois pas ce que l’on pourrait ajouter de plus convaincant pour en faire l’éloge. Cependant, l’ayant défendue en tant qu’elle est la plus adéquate au monde que nous nous sommes fait, je ne saurais interdire au lecteur de conclure que c’est à celui-ci qu’il lui faut s’en prendre si elle ne lui donne pas entière satisfaction. »
LES ŒUVRES DE MAITRE TCHOUANG Traduction de Jean Levi
« Un éleveur de singes dit un jour à ses pensionnaires en leur distribuant leurs châtaignes : “Désormais vous en aurez trois le matin et quatre le soir.“ Fureur chez les singes. “Bon alors, fait l’homme, ce sera quatre le matin et trois le soir.“ Et les singes de manifester leur contentement. »
DURRUTI DANS LE LABYRINTHE de Miguel Amoròs
« Nous faisons la guerre et la révolution en même temps. Ce n’est pas seulement à Barcelone que l’on prend des mesures révolutionnaires mais partout jusqu’au front. Chaque village que nous conquérons commence à adopter une ligne de conduite révolutionnaire. Une défaite de ma colonne aurait des conséquences effroyables, car notre retraite ne ressemblerait à celle d’aucune armée. Il nous faudrait emmener avec nous tous les combattants des villages par lesquels nous sommes passés. Et depuis le front jusqu’à Barcelone, tout au long de la route que nous avons suivie, il n’y a plus que des combattants. Tout le monde travaille à la fois pour la guerre et pour la révolution : c’est ce qui fait notre force. » (Durruti, le 8 octobre 1936.)
LES TRANSFORMATIONS DE L’HOMME (1956) de Lewis Mumford
« Plus notre situation présente semble désespérée, alors que nous devons faire face à la fois au déséquilibre écologique de l’environnement et au déséquilibre psychologique des esprits, plus il est impératif de ne pas perdre espoir. La génération à venir dispose encore d’une autre possibilité de choix, la plus ancienne pour l’homme : celle de cultiver consciemment les arts qui humanisent l’homme. » (Préface à l’édition de 1972.)
D'OR ET DE SABLE Interventions éparses sur la critique sociale et l’interprétation de l’histoire, agrémentées d’observations sur l’art de lire et sur d’autres manières, tant curieuses qu’utiles de Jean-Marc Mandosio
« Ce livre se compose d’une série de textes écrits en diverses occasions mais qui affrontent tous, sous différentes facettes, un même problème : le caractère dogmatique et figé de certaines théorisations, en vigueur dans la critique sociale ou utilisées par celle-ci, joint à une tenace propension à perpétuer des schémas éculés en matière historique. Contre le dessèchement de la pensée par la répétition paresseuse de sempiternels lieux communs ou par une frénésie conceptualisatrice faisant souvent fi de toute rigueur, l’exercice scrupuleux de l’esprit critique mérite, me semble-t-il, d’être instamment réhabilité. […] Le choix des textes et des auteurs commentés est parfois délibéré, parfois circonstanciel ; mais dans tous les cas, la méthode d’analyse et le style de l’argumentation n’ont pas moins d’importance que les sujets traités. »
CATASTROPHISME, ADMINISTRATION DU DESASTRE ET SOUMISSION DURABLE de René Riesel et Jaime Semprun
« Dans tous les discours du catastrophisme scientifique, on perçoit distinctement une même délectation à nous détailler les contraintes implacables qui pèsent désormais sur notre survie. Les techniciens de l’administration des choses se bousculent pour annoncer triomphalement la mauvaise nouvelle, celle qui rend enfin oiseuse toute dispute sur le gouvernement des hommes. Le catastrophisme d’Etat n’est très ouvertement qu’une inlassable propagande pour la survie planifiée – c’est-à-dire pour une version plus autoritairement administrée de ce qui existe. Ses experts n’ont au fond, après tant de bilans chiffrés et de calculs d’échéance, qu’une seule chose à dire : c’est que l’immensité des enjeux (des « défis ») et l’urgence des mesures à prendre frappent d’inanité l’idée qu’on pourrait ne serait-ce qu’alléger le poids des contraintes sociales devenues si naturelles. »
DISCOURS PRELIMINAIRE DE L’ENCYCLOPEDIE DES NUISANCES (1984)
« Ersatz bourgeois de la religion, l’idée d’un avenir meilleur garanti se décompose inexorablement, mais sur ce fumier poussent des fleurs monstrueuses : la nostalgie qui hante nos contemporains, et qui leur fait envisager sous un jour idyllique toutes les formes archaïques de survie et de conscience qui y sont liées, porte la maque indélébile de l’impuissance et de la puérilité. Il faut pourtant avouer qu’en face la béate apologie de la technique est humainement encore plus dégoûtante. Affirmons donc hautement contre ce faux dilemme du passéisme et du modernisme que rien ne saurait être à la fois plus moderne et moins complaisant envers les illusions du progrès que le projet d’émancipation totale né avec les luttes du prolétariat du dix-neuvième siècle, projet que le développement considérable des moyens d’asservissement oblige dialectiquement à préciser et à approfondir. »
L’IDEOLOGIE FROIDE Essai sur le dépérissement du marxisme (1967) de Kostas Papaïoannou
« Si la pensée est “fileuse de mémoire“, comme Platon nous l’a enseigné, ce travail est plus que justifié en ce temps guetté par l’amnésie. Si par surcroît la jeune génération y trouve quelques raisons supplémentaires d’accueillir avec des ricanements redoublés la vaine rhétorique des mystificateurs à peine démystifiés, et d’oser se chercher elle-même à l’extrême pointe de son nécessaire et salutaire scepticisme, il aura accompli tous mes vœux et je ne saurais rien lui souhaiter de meilleur. »
NOUS SOMMES DES ZEROS SATISFAITS précédé de LIMITER LE DESHONNEUR de Piergiorgio Bellocchio
« La vérité parle depuis des millions de tombes anonymes, de fosses communes, et nous pouvons encore en distinguer la trace, comme une vieille cicatrice presque effacée qu’un mouvement du corps fait apparaître l’espace d’un instant sur le visage des survivants, même les plus résignés, même ceux qui ont choisi d’oublier ce en quoi, ne fût-ce qu’un moment, ils avaient espéré. La vérité est le trou, l’énorme vide de nos existences »
ANDROMAQUE, JE PENSE A VOUS ! suivi de fragments retrouvés de Jaime Semprun
« On finit par se fourvoyer dans son propre quartier comme dans ses souvenirs, on s’y promène avec une âme d’archéologue, comme un habitant de Pompéï qui rentrerait dans ses ruines – « ruines ! ma famille ! » –, on invente avec des débris et tout devient allégorie. Ainsi, Andromaque captive, et quiconque a perdu ce qui ne se retrouve, se souvenait d’Ilion et, pour instruire son enfant, lui traçait sur le sol une Ilion fictive… »
Concluons par une autre analogie de pensée : à travers le projet de l’Encyclopédie des Nuisances il nous semble entendre l’engagement intellectuel d’Aldoux Huxley qui concluait, en 1958, son Retour au meilleur des mondes ainsi : « En attendant, il reste encore quelque liberté dans le monde. Il est vrai que beaucoup de jeunes n’ont pas l’air de l’apprécier, mais un certain nombre d’entre nous croient encore que sans elle les humains ne peuvent pas devenir pleinement humains et qu’elle a donc une irremplaçable valeur. Peut-être les forces qui la menacent sont-elles trop puissantes pour que l’on puisse leur résister très longtemps. C’est encore et toujours notre devoir de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour nous opposer à elles. »
Sylvain Métafiot
23:09 Publié dans Actualité | Tags : encyclopédie des nuisances, edn, jaime semprun, george orwell, rené riesel, jean-marc mandosio, jacques fredet, baudouin de bodinat, günther anders, lewis mumford, william morris, bernard charbonneau, critique radicale, miguel amoròs, theodore kaczynski, kostas papaïoannou, piergiorgio bellocchio, aldoux huxley, annie lebrun, édition, sylvain métafiot | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Vivifiant et nécessaire comme le rugissement d'un lion dans un troupeau de mouton. Mais après avoir réduit en cendre les commandements, devoirs et autres "Tu Dois" étriqué, j'espère que l'esprit de ce mouvement deviendra un enfant porteur d'une sainte affirmation. Qui sait, peut-être un jour paraîtra une encyclopédie de guérison. En attendant je vais m’intéresser à celle ci.
Écrit par : Pierre | lundi, 17 octobre 2011
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