Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« Interview d'un groupe très prometteur : El Deyma | Page d'accueil | A l’aube d’une nouvelle physique ? »

mercredi, 05 octobre 2011

Des affaires de femmes

des affaires de femmes,et maintenant on va où ?,nadine labaki,l'apollonide,souvenirs de la maison close,liban,prostitution,bertrand bonello,tragédie,religion,surréalisme,intolérance,sylvain métafiot

 

Une fois n’est pas coutume, c’est une double chronique ciné que nous vous proposons aujourd’hui. Rassurez-vous, nous n’allons pas parler des deux remakes de La Guerres des boutons (nous sommes des gens de goût sur mapausecafé) mais de deux magnifiques films qui, bien que différents, nous ont puissamment émus tant par le jeu des actrices que par leurs histoires bouleversantes : Et maintenant on va où ? de Nadine Labaki et L’Apollonide, souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello. Si les femmes constituent le cœur battant de ces deux longs métrages, le registre diffère entre la comédie et la tragédie, quand bien même les frontières sont parfois poreuses (la comédie a un arrière-fond tragique quand la tragédie recèle quelques moments de légerté).


et-maintenant-on-va-ou-where-do-we-go-now-2011-2-g.jpg

 

Après la sucrerie Caramel de 2007, Nadine Labaki remet le couvert pour nous servir un conte tragi-comique au pays du cèdre vert. Un conte ensoleillé néanmoins assombrit par les affrontements religieux entre chrétiens et musulmans. Au pays du confessionnalisme les rapports de bon voisinage sont souvent difficiles entre plusieurs communautés religieuses (on se souvient du terrible Incendies, la pièce de Wajdi Mouawad et adapté au cinéma par Denis Villeneuve). Ici le ton est beaucoup plus léger mais c’est bien ce genre de drame qui frappe ce petit village perdu au cœur des montagnes libanaises. Quasiment coupés du monde à cause d’un pont délabré et des mines qui les encerclent, les habitants du village vaquent tant bien que mal à leurs occupations quotidiennes en étant préservés de la violence extérieure qui frappe le reste du pays. Moins l’information paraît plus la paix demeure, c’est là l’un des but des femmes du village, fermement déterminées à ne pas laisser leurs crétins de maris s’entretuer pour un désaccord de dieux. Ces femmes dignes et belles qui ont déjà perdues trop de frères, de cousins, de pères, de fils et de maris ne veulent pas que le cimetière s’élargisse. C’est donc tantôt avec une jovialité désarmante, tantôt avec une fureur incontrôlable qu’elles vont tenter d’épargner un nouveau bang de sang à leur village. Ainsi, pour éviter à l’information de troubles extérieurs de parvenir aux hommes, les femmes sabotent la télé récemment acquise, brulent les journaux et débranchent la radio du bar : pour vivre heureux vivons désinformés !

 

et-maintenant-on-va-ou-de-nadine-labaki-10454843gpcil.jpg

 

Mais cela ne suffit pas à adoucir les rancœurs personnelles et les vengeances toujours plus brutales : des chèvres envahissent la mosquée ? La statue de la Vierge Marie est brisée. L’eau bénite est remplacée par du sang ? Les chaussures des musulmans sont dérobées. Un drame survient et c’est le branle-bas de combat pour éviter l’explosion. Peut importe la vérité des faits, c’est forcément le voisin le coupable. Au milieu de cette violence exponentielle, le prêtre et l’imam, tentent de calmer leurs ouailles avec l’aide des femmes. Au point de simuler une crise (hilarante) de mysticisme ou de faire venir une brochette de filles d’Europe de l’Est afin de calmer les ardeurs guerrières des mâles. Pourtant, là encore, le stratagème a ses limites et l’imminence d’une guerre civile se profile dangereusement. Les nerfs sont à vifs, les hommes ont le regard haineux et les femmes sont fatiguées de cette haine réciproque, elles qui, chrétiennes comme musulmanes, sont liées par une amitié et une fidélité à toute épreuve, fut-elle celle de la guerre. La réconciliation est-elle véritablement impossible, à l’image de cet amour improbable entre Amal la chrétienne (Nadine labaki elle-même) et Issam le musulman (Sasseen Kawzally), Roméo et Juliette arabes contemporains ?

 

198251_5099d44d0dcf2b3017fb252b75c59bf2.jpg

La dernière tentative pour stopper cette escalade sanglante sera la bonne : une soirée au bar d’Amal où tous les hommes sont réunis, se dévisageant en chien de faïence dans un premier temps puis chantant et s’embrassant sous l’effet euphorisant des gâteaux au haschisch et de la musique entraînante sur laquelle les filles de l’Est font virvolter leurs ventres. Effet hypnotique garanti ! La gueule de bois du lendemain n’en est que plus dure : les armes ont disparues mais surtout les femmes ont retournées leur veste : les musulmanes sont dévoilées et pressent leurs enfants ahuris de les accompagner à la messe tandis que les chrétiennes prient Allah le miséricordieux dans leur salon. L’ennemi fait désormais partie de la famille, qui veut tuer le croyant d’en face devra tuer sa propre femme. Les femmes retournent l’absurdité des affrontements religieux à leur avantage en démontrant que les croyances sont réversibles contrairement à la mort d’un être cher.

 

et_maintenant_on_va_ou__300.jpg

 

Labaki donne à réfléchir tout en faisant rire mais ne prétend pas apporter de réponses à la violence qui déchire son pays. Comédie marquée par la mort, le film commence au cimetière et finit au cimetière, sans savoir comment résoudre le problème de la haine interconfessionnelle, de l’intolérance religieuse, de la bêtise humaine. L’interrogation demeure mais le soleil dans nos cœur également. Et maintenant on va où ? Là où survit la joie.

 

 

 

 

Quittons maintenant les rives de la méditerranée pour entrer en plein cœur de Paris dans la grande et somptueuse maison de madame Marie-France, dont les entrées sont permises aux hommes mais les sorties interdites aux femmes : une maison close au crépuscule du XIXème siècle. C’est dans un huis-clos de stupre et de luxure que nous enferme Bonello, accompagnant le quotidien répétitif de cette dizaine de filles dont la réalité est cloisonné entre quatre murs. Et le cadre n’atténue pas cette oppression qui est, au contraire, révélé par la beauté des décors et la maîtrise sans failles de la mise en scène.

 

LApollonide.jpg

 

L’univers glauque et malsain de la prostitutions, fut-elle de haute gamme, est ensevelie et étouffé par le faste des apparences, le luxe des robes, le champagne roucoulant dans les flutes en cristal, l’ambiance feutrée et détendue du salon, les allées et venues des gens de la bonne société, traversant d’un pas calme et sûr les chambres confortables aux rideaux épais. A l’instar de cette panthère allongée paisiblement sur le divan – du velours sur du velours – qui peut cependant sortir les crocs et déchiqueter l’âme d’un misérable à tout instant. Plus qu’une maison close, une maison hantée par des fantômes déambulant dans les couloirs depuis mille ans, par des masques à la froideur inhumaine, par des monstres au sourire figé ou sadique. Car la violence couve et les désillusions pleuvent comme des hallebardes. Au détour d’un amour rédempteur et annonciateur d’une vie meilleur c’est le drame qui frappe : les dettes infinies rappellent à la réalité, la chair saigne, le corps tombe malade et meurs.

 

l_apollonide_souvenirs_de_la_maison_close2.jpg

 

L’Apollonide ou le sensible magnifié à l’écran. Bonello ose le surréalisme et l’ose avec brio. Cela a été dit et redit mais quelle puissance picturale que ces larmes de sperme filmées en plan fixe faisant penser à l’œil tranché par un rasoir d’Un Chien andalou de Luis Buñuel. Et cette baignoire de champagne, fantasme bourgeois d’un homme du monde. Les références sont légions, tant picturales que cinématographiques : Bonello se sert de réalisateurs comme acteurs (Xavier Beauvois, Jacques Nolot, etc. Manque Kubrick pour la partie fine entre aristocrates à la manière d’Eyes Wide Shut) et peint des plans comme si Manet avait filmé Le Déjeuner sur l’herbe. Rare instant de liberté frivole par ailleurs que cette sortie en campagne où se mettre nu ne vaut que pour le simple bonheur de se baigner. Bonheur libertaire en dehors, bonheur mortifère en dedans. Ou la meilleure façon de tuer l’amour : « Quand je sortirais d’ici, plus jamais je ne ferais l’amour » dit l’une de ces belles désillusionnées à l’orée du XXème siècle.

 

l-apollonide-souvenirs-de-la-maison-close-2011-22372-284008543.jpg

 

Prostituée d’hier ou d’aujourd’hui, prisonnière d’un rêve en train de s’éteindre ou écumant les périphériques crades des centres urbains, la perte d’autonomie est la même, la souffrance est pareil, le dégoût est identique. L’Apollonide ou l’ode ténébreuse de ces étoiles filantes qui embrasent la nuit de leur volonté inaltérable de vivre.

 


 

Sylvain Métafiot

 

Commentaires

 

Une excellente critique de L'Apollonide par le Dr Orlof : http://drorlof.over-blog.com/article-fleurs-de-venus-86494279.html

Les commentaires sont fermés.