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mardi, 08 novembre 2011
Le silence est d’or
Disons-le d’entrée de jeu, ce mois d’octobre fut certainement l’un des plus riches en termes de productions cinématographiques très contrastées. Que l’on songe au ténébreux Drive de Nicolas Winding Refn (louangé d’un côté, ridiculisé d’un autre), film noir conceptuel, extrêmement stylisé et ultra-violent, qui, sur fond d’électro des années 80 amorce (laborieusement) une réflexion sur les faux-semblants de la cité postmoderne. Ou bien Polisse de Maïwenn (encensé ici, pulvérisé là), qui nous plonge au cœur d’une brigade de la protection des mineurs en dévoilant le quotidien brutal, épuisant, et parfois drôle de ses membres (servi par des acteurs exceptionnels), tout en insistant (lourdement) sur leur humanité à travers des procédés de mise en scène parfois démagogique.
Mais c’est de The Artist que nous allons converser en détails.
Le dernier film de Michel Hazanavicius (réalisateur des deux chefs d’œuvres comiques que sont les OSS 117) nous conte l’histoire de George Valentin (Jean Dujardin, littéralement possédé par les fantômes de Buster Keaton et Douglas Fairbanks), star hollywoodienne du cinéma muet en 1927 qui, refusant de se conformer au parlant, se voit détrôner par une jeune étoile montante, Peppy Miller (la chaplinesque Bérénice Bejo), secrètement amoureuse de lui. Cependant, l’histoire d’amour contrariée par les affres du showbiz (schéma classique du mélodrame, remarquablement illustrée par la scène touchante de l’escalier), ne constitue pas le cœur du film.
Bien au-delà de ce qu’on a pu lire ou entendre sur la performance de réaliser un film muet en noir et blanc à l’époque du tout numérique, de l’IMAX et de la 3D, The Artist est avant tout un film de cinéma sur le cinéma, une réflexion sur le cinéma muet. Davantage qu’un exercice de style réussi bardé de références cinéphiliques (l’hommage à cet âge d’or du cinéma est sublimé par la résurrection de ses codes emblématiques), le film interroge la genèse du langage cinématographique (la puissance brute du seul corps et des images) en faisant du muet la condition infernale du héros. Valentin ne parle pas, il en est incapable. Dans un monde devenu parlant il voit son handicap existentiel détruire sa vie : sa carrière comme son mariage. Impossibilité de communiquer avec les spectateurs comme avec sa femme. Le monde est devenu un film bruyant cauchemardesque dont il ne serait qu’un figurant apeuré.
En conflit avec son producteur (John Goodman) et malgré le soutient de son fidèle chauffeur (James Cromwell) Valentin essaye désespérément de sortir de sa solitude dévastatrice en compagnie du seul être qui le comprend : son petit chien cabot, atteint du même mutisme. C’est ce complice canin qui sauvera la vie à la star déchue lorsqu’elle voudra détruire par le feu son âme sur pellicule, son identité absolue devenue l’ombre d’elle-même. Gloire, déchéance, désespoir, le parcours tortueux de Valentin semble voué à l’aporie. Pourtant, la résurrection surviendra grâce à la musicalité du corps, comme un ultime pied de nez au cachot muet dont il était à la fois le prisonnier et le gardien.
Finalement, même sans atteindre la grâce de Murnau, le vertige de Welles ou le comique de Chaplin, Hazanavicius nous parle avec tendresse d’un monde éteint mais légendaire, un continent perdu qu’on ne cesse d’arpenter en rêve : la vie et la mort du cinéma muet.
Sylvain Métafiot
01:17 Publié dans Cinéma | Tags : le silence est d’or, the artist, muet, noir et blanc, jean dujardin, michel hazanavicius, bérénice bejo, mutisme, hollywood, années 30, sylvain métafiot | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Quelques mois après cette critique, et quelques jours après la consécration de ce film aux oscars je suis enfin allé voir ce film tant "encensé" par tous...
Je n'ai pas trouvé ce film autant exceptionnel que la presse, j'ai tout de même réussi à y voir quelques qualités, et quelques défauts :
d'abord incontestablement Jean Dujardin a brillamment interprété son rôle, tout comme Berenice Bejo (de là à la comparer à Chaplin il y a un fossé que je ne me risquerai pas de sauter), et la bande son, tout comme l'incroyable chien qui accompagne les acteurs fond de ce film quelque chose de remarquable, mais pas d'exceptionnel encore une fois.
Les cadrages sont faits dans les règles de l'art, (le 180 degrés pour les scènes où les acteurs parlent, les angles travaillés, la règle des tiers etc.), mais je suis sorti de la salle de cinéma en pensant à ce qui avait bien pu provoquer autant d'éloge de ce film qui n'est certes pas banal... c'est peut être d'ailleurs ça l'esprit de ce film, il n'est pas banal, et change un peu de ce que l'on peut voir.
Il ne fait pas spécialement réfléchir, et mis à part le côté esthétique et parfois drôle de part l’interprétation des acteurs, je n'ai pas trouvé grand chose à en dire... à tel point que si l'on doit m'interroger dessus, je dirais qu'il est plutôt long, qu'on se doute de la fin comme des évènements qui vont arriver, et au final ne nous interrogent même pas vraiment sur le cinéma muet et l'apparition du cinéma sonore... ou alors une fraction d'un quart de seconde.
Dujardin mérite son putain d'oscar, mais pour comparer l'incomparable j'ai tendance à préférer la dame de fer, et Meryl Streep, qui nous fait réfléchir et nous explique vraiment des faits d'histoires réels. Si l'objectif était comme tu le dis de nous faire réfléchir sur le cinéma parlant et le cinéma muet, alors c'est raté...on faisait mieux avant et comme tu as cité Chaplin, dont j'ai vu la plupart de ses films, je pense notamment au dictateur, c'est normal que j'ai été déçu... et que je n'ai pas rigolé.
Pour une fois, je me pose contre un film qui a été adoré partout... ceci dit je ne regrette quand même pas d'avoir pu me faire ma propre opinion sur celui-ci... Je n'ai simplement saisi l'esprit du film et n'ai pas été bercé par l'histoire... J'ai trouvé le temps long, et la seule réplique de Dujardin qui arrive tardivement en anglais est incroyablement dénuée de sens, alors que ça aurait du être une chute... son accent à couper au couteau m'a aussi laissé perplexe.
Quand je pense que tous les français se sont vantés de ce film, alors que la scène ne se passe pas du tout en France, et que nul part nous ne percevons l'influence française. Je croyais naivement peut être qu'au moins les scènes auraient lieu à Paris décor qui en noir et blanc auraient sans doute permis au film (selon moi tjrs) d'être esthétiquement plus joli.
Beaucoup de regrets personnel pour un film qui a été récompensé 80 fois dans les compétitions internationales. Mais a-t-on le droit malgré tout d'aller à contre courant et de dire que ce film a été sans doute trop glorifié et pas à juste titre ?
Écrit par : Didier | lundi, 05 mars 2012
Merci pour ton bon gros commentaire, Didier.
Tout d'abord, les récompenses qu'un film obtient ne détermine absolument pas sa qualité intrinsèque. J'ai bien citer les exemples selon lesquels Stanley Kubrick n'a jamais obtenu d'oscars dans sa carrière tandis que Titanic (qui est une bien belle bouse) en a obtenu 11.
De fait, on peut discuter l'oscar du meilleur acteur pour Dujardin (personnellement j'aurais plutôt vu Di Caprio pour son rôle dans "J. Edgar") mais force est de constater qu'il joue divinement bien. Même s'il n'est pas Buster Keaton...
Par ailleurs, je n'ai pas vu "La dame de fer" mais ça m'a l'air d'un ratage complet qui met davantage l'accent sur la vie personnelle de Thatcher que sur l'aspect politique de sa vie publique. Une hérésie bien décrite ici : http://desoncoeur.over-blog.com/article-la-dame-de-fer-99891353.html
Pour revenir à "The Artist", la forme est superbement travaillée, en effet, mais le fond est plus intéressant même s'il est imparfait (c'est vrai qu'il y a quelques longueurs).
C'est ce que j'écris dans l'article : le muet n'est pas un simple exercice de style mais est la condition même du film et du héros. George Valentin est muet dans un film muet à une époque où le monde (c'est-à-dire le cinéma pour lui) devient parlant.
Le film tire sa force de cette mise en abyme du cinéma en illustrant les rapports de forces désespérés entre cette star muette des temps anciens et le nouveau monde des jeunes talents parlants.
Le but n'est pas de nous faire réfléchir sur des sujets politiques comme certains films muets arrivaient à le faire à leur époque ("Les temps modernes", "Le dictateur") mais sur cet âge d'or du cinéma qui misait tout sur la puissance brute du seul corps et des images.
De fait, cet âge d'or ayant été principalement le fait d'Hollywood il est logique que le film se déroule aux États-Unis et non en France : ça tombe sous le sens.
Le film fait énormément référence à un film que je n'ai pas cité dans mon article : "Chantons sous la pluie", un chef d’œuvre de comédie musicale qui relate le passage difficile et mouvementé du cinéma muet au cinéma parlant.
"The Artist" reprend cette trame narrative, certes avec moins de génie que le film de Stanley Donen et Gene Kelly mais avec un amour sincère pour le cinéma.
Écrit par : Sylvain | lundi, 05 mars 2012
En effet, le fond reste assez imparfait et manque de piquant... j'y ai presque vu une caricature du cinéma muet, qui pourtant n'a rien a envier aux films actuels...(si ce n'est les effets spéciaux et la couleur mais cela dépend de l'avancée technologique) bien que je reconnais aussi mon profond attachement à la parole.
Quant à la dame de fer, je l'ai vraiment trouvé intéressant, n'ayant que très peu voir aucune empathie pour miss Tatcher, Meryl Streep est absolument sublime dans son personnage, et on se demande presque si elle n'a pas été elle même une dame de fer !
Je te conseille vivement d'aller le voir pour te faire ta propre opinion (à moins que ce ne soit déjà le cas)... Il vaut vraiment le déplacement car il explique pas mal de prises de décisions, mais encore une fois cela est une question de goût, je suis fan des films biographiques. Ainsi j'irai voir J.Edgar, qui m'attire depuis un bon moment, avec la petite cerise qui est semble-t-il l’interprétation d'un Di Caprio brillant...
Pour en revenir à The Artist, je tiendrai à ajouter quand même que l'on doit l'invention du cinéma aux frères lumières, eux mêmes lyonnais, cinéma possible par l'invention du procédé d'enregistrement des images dû à la photographie et donc à un autre français hélas peu connu : Nicéphore Niepce ;)
C'est aussi selon moi un manque cruel d'inspiration et de rendu des images de vouloir tourner ce film dans un hollywood "land", mettant en valeur certes les Etats Unis d'Amérique, mais je parlais encore une fois d'un rendu visuel....
Quant à la mise en abyme elle est belle je te l'accorde, mais manque un peu de sens, se concentrant exclusivement sur deux personnages principaux, et finalement l'industrie du cinéma que l'on critique aujourd'hui semble trouver ses racines dans ce film, mais c'est cette même industrie qui permet à ce film aujourd'hui de faire salle comble et de dégager d'énormes bénéfices... et bien sur de grandes retombées presses...
J'avoue que je suis le premier à m'être "fait avoir" puisque je suis allé voir ce film car tout le monde en disait du bien, et comme bien souvent, la masse n'a pas eu raison...
Quant au son, ou plutôt au cinéma parlant, je t'invite à aller revoir cet article de wikipédia qui permet d'illustrer de manière différente son apparition : http://fr.wikipedia.org/wiki/Cin%C3%A9ma_sonore
With Pleasure !
Écrit par : Didier | lundi, 05 mars 2012
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