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mercredi, 11 janvier 2012

Sexe intentions

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Deux films, un acteur et un même sujet traité selon deux angles radicalement différents. Le sexe donc est au cœur de Shame de Steve McQueen et de A dangerous method de David Cronenberg, deux films non dénués d’intérêts mais en deçà des attentes qu’ils suscitaient. Hasard du calendrier, ils sortirent à quelques semaines d’intervalles et si le premier se déroule à New-York de nos jours et le second à Zurich en 1904, ils eurent comme point commun, outre le sujet central, de présenter le même acteur dans le rôle principal : l’hypnotique Michael Fassbender. Exploration du thème de la sexualité, à travers le portrait croisé de docteur Michael et de mister Fassbender, par deux réalisateurs de talents (même si l’un monte quand l’autre descend).


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Commençons par le dernier film de Cronenberg. Adapté d’une pièce du Britannique Christopher Hampton A dangerous method retrace la rencontre en trois temps entre Carl Jung (Fassbender), une patiente souffrant d’hystérie, Sabina Spielrein (Keira Knightley), qui deviendra son assistante puis sa maitresse, et Sigmund Freud (Viggo Mortensen) qui passera du statut de mentor à celui de père à tuer. Autant le dire d’entrée de jeu : Cronenberg ne signe pas son meilleur film, loin s’en faut ! Habitué à des œuvres torturées et viscérales quelle surprise que de visionner un film lisse et policé à mille lieux de l’organique eXistenZ, du terrifiant La Mouche et surtout du sulfureux Crash. A croire que le réalisateur canadien s’est dangereusement assagi ces dernières années (même si A History of violence et Les promesses de l’ombre sont d’excellents films) tant ce film sérieux et calculé ne lui ressemble pas.

 

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Concrètement le film parle de sexe – et il en parle bien – via l’approche psychanalytique mais l’incarnation qu’il en propose est plate comme une limande. Certes, les dialogues que se livrent le trio de personnages sont rondement menés, bien argumentés, voire stimulants pour l’intellect. Cronenberg ne prend pas le spectateur pour un imbécile et n’hésite pas à entrer dans les détails des théories psychanalytiques du début du siècle : la psychanalyse a-t-elle pour but d’élever l’homme ou de le ramener à la normalité ? Faut-il poser la sexualité comme postulat interprétatif ? Mais les palabres, aussi brillant soient-ils, ne confèrent pas l’épaisseur nécessaire à un tel sujet et surtout de la part d’un réalisateur qui prend d’habitude un malin plaisir à choquer nos représentations des individus et de la société généralement admises en transposant ses visions cauchemardesques à l’écran. La tension érotique est minime par rapport à la dissertation didactique et théorique et s’incarne, non pas chez Keira Knightley qui en fait trop dans les gesticulations, mais chez Fassbender qui tire son épingle du jeu en Jung ardemment tourmenté sous la froideur de son apparence protestante et corsetée, ainsi que chez Vincent Cassel en Otto Gross cocaïnomane libertaire faisant l’éloge de la polygamie et décoinçant le jeune psychanalyste.

 

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Un fossé sépare la réflexion sur le désir et la violence technicienne de ces premiers films et la vision « bourgeoise » du désir de A dangerous method, car David Cronenberg est un des meilleurs explorateurs des « racines existentielles de la violence technique ». Avec Crash il nous plonge dans un univers fictif réduit à sa seule dimension technique. La société est absente, la nature est absente, la ville habitée est absente. Seul demeure des individus isolés errant sur des routes, avec pour unique perspective le sexe et la machine, en l’occurrence la voiture. Dans un monde sans vie, l’émotion est inexistante. Ne satisfaisant plus leurs désirs par le sexe, ils se tournent vers la violence automobile, ultime recours pour aller au-delà de leurs limites corporelles dans un dépassement existentiel définitif. Grâce à la « belle catastrophe » ils sont à la fois délivrés de leur prison charnelle, et accèdent à l’éternité par l’existence immatérielle de la diffusion ultra médiatique de l’accident. Dans La Mouche Cronenberg met en scène un chercheur ayant découvert la téléportation en mettant « la chair en équations ». Mais suite à une erreur, son génome fusionne avec celui d’une mouche et peu à peu se métamorphose. Dans son exaltation de dépasser ses limites humaines, il en perd toute humanité, physique comme morale, et finit par user de la force pour poursuive son rêve technoscientifique. Le désir d’une liberté désincarnée serait un « instinct secret » poussant les être humains à la violence technicienne. Dans eXistenz il nous fait entrer de plein pieds dans le monde de la réalité virtuelle totale. Coupés de la réalité, les participants à ce « grand jeu » ne ressentent aucune angoisse, aucune contrainte physique, aucune identité fixe, aucune attache géographique, aucune soumission temporelle, aucune barrière à la liberté absolue en somme. Mais cela entraîne également la suppression du souci de l’autre, réduit à une apparence caricaturale pouvant être éliminée à tout instant, la suppression des scrupules, car les actes n’ont pas de conséquences définitives dans un univers perpétuellement recomposé, la suppression de l’autonomie et de la raison, le joueur devenant dépendant de sa logique ludique, et donc le règne des pulsions les plus barbares comme la rivalité et la violence. La fascination de la violence émanant des techniques automobiles et de celles de l’imagerie explique la jouissance d’abolir la réalité, le temps, et la responsabilité de nos actes. Ce désir secret à la liberté totale (dévoilé par les arts en général et la SF en particulier) peut donc s’engouffrer dans ce que Jean Brun appelait « la puissance onturgique de la technique, créatrice de nouvelles modalités d’être ». Au risque de s’abîmer dans des violences autodestructrices sans retours. (Extrait de l’article Science, fiction & Philosophie).

 




Shame de Steve McQueen est autrement plus intéressant bien qu’imparfait. Après le chef d’œuvre que fut Hunger, le réalisateur britannique quitte l’Irlande du nord et traverse l’atlantique pour relater l’addiction sexuelle de Brandon, un trentenaire célibataire englouti par cette citadelle de verre et de métal qu’est New-York. Si l’on regrette le manque de sensibilité et l’excès de cérébral dans le film de Cronenberg, l’insensibilité et la froideur des relations est ici le centre même de la réflexion (tout en peinant à faire de Big Apple un véritable personnage à part entière comme Los Angeles dans Collateral). Certes, le film est moins provocant et subversif que pourrait le laisser penser la bande-annonce (voir plus bas) mais le but du réalisateur n’était sans doute pas tant celui de choquer que de donner à voire la déshumanisation et la perdition d’un homme au cœur d’une mégalopole moderne. Le sexe malgré la honte et le péché.

 

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Brandon est loup cherchant sans cesse une nouvelle proie dans la jungle new-yorkaise (voir la scène tendu où Brandon croise, de son regard de feu, celui amusé puis apeuré d’une jeune fille dans le métro) ou recourant à des prostitués lorsque la chasse s’avère sans succès ou laborieuse. En dehors de son travail et sa passion pour la musique, son temps libre se passe exclusivement entre les cuisses des femmes qu’il séduit, que ce soit dans les bars, au bureau, dans le métro, dans la rue, sur Internet ou via des magazines, comme un besoin consumériste jamais inassouvi et représentatif du désir de jouissance contemporain. Mais lorsque la sœur de Brandon débarque en ville et s’installe dans son appartement, la mécanique bien huilée du sex-addict se grippe petit à petit au point de rendre sa vie insupportable. Cette sœur qui couche avec son patron, dragueur invétéré et lourdingue, dans son propre lit dévore son espace vitale et perturbe ses pulsions. Cette sœur qui commettra un acte effroyable alors que son frère sera entraîné dans l’atmosphère moite d’une back-room homosexuelle. La tendance à s’autodétruire semble le seul lien qui soude encore ce frère et cette sœur atteint tous deux de misère affective.

 


 

Sans atteindre la puissance et la rage de Hunger, Fassbender permet à McQueen de nous donner à voir la détresse d’un homme pris au piège d’une ville-machine clinique qui n’est que le reflet de sa propre prison mentale. Par-là même Shame correspond davantage à la réflexion du « premier » Cronenberg considérant les machines comme objet de désir, quitte à y succomber : nous aimons aussi des machines parce qu’elles sont mortelles et déshumanisantes. New-York n’est plus cette ville qui ne dort jamais, enflammée par la fureur des clubs de jazz de Harlem et la chaleur des night-clubs de Manhattan mais une ville friquée et froide qui a perdu son âme. Quand Sissy chante New-York New-York ce n’est pas sur le ton enjoué et jazzy de Liza Minnelli dans le film de Scorsese mais sur celui mélancolique d’une petite fille triste et fragile regrettant la beauté d’antan et les caresses qui ne troublent pas.

 

Sylvain Métafiot

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