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mercredi, 12 septembre 2012
Le prix du sang
Loin, très loin, des comédies sentimentales estivales pour adolescentes en chaleur (comprenez : « qui vont au cinéma non par goût mais pour se rafraichir de la température volcanique ») et des blockbusters assourdissants pour jeunes cons amateurs de pop-corn, le dernier film d’Asghar Farhadi nous offre un vrai et beau moment de cinéma (dernier film qui date en réalité de 2004 : les distributeurs français s’étant réveillés après les succès d’A propos d’Elly et d’Une séparation). Cet été ne fut pourtant pas avare en pépites cinématographiques (Holy Motors de Leos Carax, Faust d’Alexandr Sokurov, La servante de Kim Ki-Young, Kill List de Ben Wheatley, Moonrise Kingdom de Wes Anderson, La part des anges de Ken Loach, Guilty of Romance de Sion Sono, Adieu Berthe de Bruno Podalydès) et la puissance du drame néoréaliste de Farhadi fait incontestablement partie des meilleurs films sortis ces derniers mois.
Pitch : Akbar (Hossein Farzi Zadeh) vient de fêter ses 18 ans. Triste anniversaire car il est condamné à mort. Alors qu’il attend son exécution dans une prison de Téhéran, son meilleur ami A’la (Babak Ansari) et sa sœur Firouzeh (splendide Taraneh Alidoosti) vont tenter d’obtenir le pardon du père de sa victime Rahmati Abolghasem (Faramarz Gharibian, poignant de rage contenue), seul moyen pour lui d’échapper à la pendaison.
À l’instar d’Une séparation (dont il est le précurseur et dont les qualités scénaristique et de mise en scène préfigure les futures réalisations), le réalisateur iranien nous gratifie d’une œuvre aussi forte émotionnellement qu’intelligente dans le décryptage d’une société aux règles de (dys)fonctionnement aberrantes. Décryptage, au demeurant, non appuyé et didactique contrairement à bon nombre de films français sociologico-lourdingues qui privilégient le message politique (souvent bien-pensant) aux détriments de la narration cinématographique, du relief des personnages et de la mise en scène. Ici la subtilité du récit confère de l’épaisseur aux « héros » et permet de s’interroger sur la famille, la religion, la fraternité au sein de la société iranienne.
Le film met en avant l’effroyable loi du sang qui constitue une compensation financière à la famille d’une victime ; sachant que ce prix à payer étant deux fois supérieur pour un homme que pour une femme. Cet esprit de vengeance codifié, issu de la loi du talion, est la pierre angulaire du récit autour de laquelle gravitent les personnages torturés, sommés de se positionner face à la loi islamique. La transaction, matérielle ou symbolique, semble inéluctable, quelque soit les relations entre les individus. A fortiori quant il s’agit de vie ou de mort. Il faut s’arranger sans cesse.
Face à ces tourments, tant individuels que sociaux, le cinéma de Farhadi est exempt de tout manichéisme. C’était déjà flagrant dans Une séparation et la complexité des situations, que reflètent l’ambiguïté des personnages, est tout aussi palpable dans Les enfants de Belleville. Impossible d’exclusivement prendre parti pour tel ou tel protagoniste tant les motivations qui animent leurs actions sont défendables et légitimes. Chacun à ses raisons que la raison peine parfois à justifier mais que la lenteur – bienvenue – du récit nous aide à comprendre.
Par exemple, si l’on encourage le combat d’A’la et de Firouzeh tout au long du film pour qu’ils obtiennent la grâce d’Akbar, nous sommes également pris d’empathie pour le vieux Abolghasem et le deuil insoutenable qui l’afflige. Ce dernier, fidèle parmi les fidèles, en vient même à défier le vieil imam du quartier qui l’enjoint à accepter la requête des jeunes gens. Quand la religion ne désigne plus la lueur d’espoir et ne constitue plus une force pour affronter le drame de la vie elle n’est qu’un obstacle à la paix de l’âme. Comment trouver le sommeil quand on a perdu un être cher ?
La complexité prend des airs interrogatifs. Akbar est-il un assassin sans remords ou un jeune cœur brisé préférant l’amour éternel dans la mort plutôt que la souffrance de vivre sans l’être aimé ? Pourquoi Rahmati Abolghasem rejette-t-il sa haine contre sa femme ? A’la, confronté à un choix cornélien, préfèrera-t-il sauver la vie de son ami en acceptant un mariage non souhaité ou choisira-t-il son nouvel amour pour espérer un bonheur personnel ? Autant de questions qui ne trouveront pas nécessairement de réponses dans le film. Noyés par les diktats et les tabous de la société iranienne, les personnages n’arriveront pas sans mal à sortir la tête de cette eau croupie.
Amour impossible face à rédemption incertaine. Fureur de vivre contre respect des traditions. Les corps et les esprits s’entrechoquent dans une mélancolie douce qui n’exclue pas l’espoir de voir les choses s’arranger. Akbar, A’la et Firouzeh demeurent des fulgurances, aussi éphémères et brutales que le passage d’un train sur des rails meurtris.
Sylvain Métafiot
11:28 Publié dans Cinéma | Tags : le prix du sang, les enfants de belleville, asghar farhadi, complexe, iran, pendaison, akbar, a'la, firouzeh, abolghasem, téhéran, une séparation, traditions, fureur de vivre, dysfonctionnement social, tabous, perte, deuil, amour impossible, non-manichéen, fulgurances, sylvain métafiot, cinéma | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Il a vraiment l'air sympa ce film, merci de la critique.
Marie.
Écrit par : CPAM Avignon | mercredi, 12 septembre 2012
Les commentaires sont fermés.