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samedi, 23 mars 2013

L’Autre, ce facho. L'intolérance des tolérants


« Il n’y a que violence dans l’univers ; mais nous sommes gâtés par la philosophie moderne qui nous dit que tout est bien, tandis que le mal a tout souillé, et que, dans un sens très vrai, tout est mal, puisque rien n’est à sa place »

Joseph de Maistre


Ces derniers temps, les débats ont été vifs autour du projet de loi légalisant le mariage hétérosexuel. Tellement vifs que l'insulte et la diffamation ont souvent pris le pas sur l'échange d'arguments raisonnés. De formidables non-débats ont ainsi eu lieu un peu partout consistant à imposer son opinion au lieu d'écouter celle d'autrui. Belle conception de l'Autre et de la démocratie s'il en est. Analyse d'un certain dogmatisme cool et branché, qui dépasse le cas du mariage homosexuel, en compagnie, notamment, de quelque uns de ses plus grands pourfendeurs : Philippe Muray, Marcel Gauchet et Pierre-André Taguieff.


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« Il y a une uniformité gay qui ressemble à l’uniformité japonaise : on tape sur le clou qui dépasse. Je crois que cette minorité sexuelle est désormais marquée par l’envie de refuser le conflit, le radicalisme, le débat, la confrontation des idées. » L'auteur de ces lignes n'est pas Christine Boutin mais Didier Lestrade, répondant à une interview sur le site Article 11 en septembre 2010. Le journaliste et co-fondateur d'Act Up-Paris fustigeait l'« âge bête » d'un mouvement gay tenant « un discours généraliste idiot et faussement consensuel qui ne soulève aucun débat dans la société ». Aujourd’hui on ne peut que lui donner raison tant le constat reste désespérant.


Le débat, parlons-en ! Les mêmes qui s'indignent, à juste titre, des amalgames et autres généralisations à propos des homosexuels (« tous des sidaïques ! »), des immigrés (« tous des délinquants ! »), des chômeurs (« tous des fainéants ! »), etc. n'hésitent pas à faire de même envers les opposants au « mariage pour tous » : « tous des réacs, tous des homophobes, tous des fachos ! ». Dans les premiers cas, c'est considéré, à raison, comme de la bêtise pure ; dans le dernier, cela semble normal et accepté. Dans cette histoire il n'y a pas que le terme de « Mariage pour tous » qui soit complètement crétin.


Comme le dit justement la sociologue Nathalie Heinich dans Le Monde : « L'opposition au dit "mariage pour tous", ou plutôt, donc, "mariage homosexuel", ne peut être réduite à de l'homophobie, même si celle-ci existe chez certains opposants. Tout d'abord, parce qu'il existe des homosexuels opposés à ce projet, par fidélité à une certaine conception de l'identité homosexuelle. Ensuite, parce qu'il n'est pas acceptable de réduire une position aux motivations supposées de ses défendeurs, pas plus qu'à leurs caractéristiques (l'on aurait telle opinion parce qu'on serait hétérosexuel ou homosexuel, de droite ou de gauche, etc.) : même si une corrélation existe, factuellement, entre identité et opinion, refuser celle-ci au nom de celle-là revient à esquiver le débat, c'est-à-dire l'échange d'arguments rationnels. Cette attitude n'est pas digne du débat démocratique. »


 



Liberté d'expression à deux vitesses


Que des homophobes pure race (soit disant virils et couillus), de patentés fachos maniant haut le bras et la batte de base-ball, des catholiques traditionnels jusqu'au fond du slip, éructent contre cette abomination, fruit de l'engeance du Malin et de Laurent Ruquier, de marier les PD, rien de très surprenant. Mais on trouve toujours des ingénus professionnels pour s'étonner que, ben ça alors, l'extrême-droite est contre le mariage homo et en plus elle le fait savoir.


Que l'intolérance, le dogmatisme, l'insulte, le refus du débat, soient consubstantiels à une certaine partie d'ultras droitards, on peut facilement l'envisager. La violence de Civitas & Co est conforme au fanatisme de leurs idées. Ce qui rend perplexe c'est que ces tares soient également le fait d'une gauche a priori bienveillante, pacifiste et ouverte d'esprit.


Ainsi, au nom d'un « sens de l'Histoire » inéluctable et d'une conception progressiste indépassable, certains « humanistes » n'hésitent pas à interdire de parole tout opposant émettant des réserves, modérées ou non, au projet de loi. Rendez-vous compte, discuter avec des gens qui n'ont pas les mêmes idées que vous, quelle drôle d'idée !

 

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Fiers d'être du « bon côté de la barrière » ils se croient automatiquement intelligent en pensant que leur cause est juste : il y aurait ainsi une bonne liberté d'expression (de gauche) et une mauvaise (tout le reste). Mon camp est celui du Bien, et hors de lui, point de salut ! Paix et Amour obligatoires sinon c'est ma main dans ta gueule !


Le problème est bien celui d'un manichéisme politique prenant appui sur un absolu moral non moins binaire. Philippe Muray ne disait pas autre chose : « Ce qui m’indispose, c’est le Bien sans Mal. C’est le Bien se dressant seul, au terme d’une radicale épuration éthique, et dictant ses exigences dans un univers sans contradiction » (Exorcismes spirituels III). Une épuration linguistique également : « Nous sommes tous des colonisés du Bien qui parlons la langue du colonisateur (mais ce colonisateur, c’est aussi nous !). » On évacue le Mal, c’est-à-dire l’Histoire, et on se sent mieux. Faisons table rase du passé, camarades éradicateurs ! La France du mouvement ne veut pas convaincre, elle veut vaincre. Vaincre la France du passé forcément réactionnaire. Pour cela rien de tel que de peindre le monde en noir et rose blanc. C'est plus simple pour choisir son camp. On sait pourtant bien depuis Nietzsche qu'il n'existe pas de vérité absolue, qu'il n'y a pas de phénomènes moraux mais une interprétation morale des phénomènes. Peine perdue.

 

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L'invective contre les « méchants »


Chez les Gardiens de la pensée unique, l'obsession idéologique côtoie les affirmations sans preuves. Et si des faits viennent brouiller leurs repères simplistes (des homosexuels refusant le mariage gay ou des jeunes UMP militants contre l'homophobie) ils en viennent directement à l'insulte et au lynchage médiatique. On entend ainsi, nous rappelle Muray, « tout au fond de la gorge des vertueux accusateurs, les flammes de l’enfer qu’ils ont recueilli en eux-mêmes, tout en l’épurant de la surface du monde, et qui crépitent haut et clair dans les vocables antiques qu’ils emploient (« populisme », « fascisme », « réactionnarisme », « archaïsme », etc.) » Qu'un soldat de l’Empire du Bien traite quelqu’un de facho, c’est du temps de gagné sur un éventuel débat. Il est plus aisé de condamner l’autre en le traitant de pétainiste plutôt que d'écouter ses arguments. Brandissant l'épée de l'homophobie et le bouclier de l’Égalité ces braves petits troufions ne connaissent ni la peur ni... le ridicule.


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« Qui n'est pas de notre bord est un nazi ! » clament-ils en cœur. En ce sens, certains atteignent le point Godwin plus rapidement qu'un troll surentraîné sur un forum négationniste. On pense à l’homme d’affaire Pierre Bergé déclarant tout de go sur BFMTV que « Les anti-mariage gay sont en grande partie antisémites » (médaille de bronze), au député PS Christian Assaf affirmant à l’Assemblée nationale que « le temps du triangle rose était terminé ! » (médaille d'argent), ou à Jean-Michel Ribes (directeur du théâtre du Rond-Point) lançant sans ciller sur RTL que « Le papa et la maman ça a quand même donné aussi Hitler. » Godwiiiiner, médaille d'or !À noter que c'est au sein de ce théâtre que fut organisé un débat « citoyen et festif », le 27 janvier dernier, regroupant tous les happy few favorables au mariage homo. Comment peut-on oser parler de débat dans ces conditions ?


 



Réel dichotomique pour penseurs simplistes


« Lorsque les symboles de la religiosité supramondaine sont bannis, ce sont de nouveaux symboles nés dans le langage scientifique intramondain qui prennent leur place. » Eric Voegelin, essai sur les « religions politiques », 1938.


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Muray encore : « L'interdiction de penser est portée par l'éloge constant d'un monstrueux devenir. L'éloge enveloppe l’événement de sa nuée et empêche, autant qu'il le peut, que cet événement soit soumis au libre examen, qu'il devienne objet d'opinions divergentes ou critiques. De sorte que la divergence ou la critique, lorsqu'elles se produisent malgré tout concrètement, apparaissent comme une insulte envers l'éloge qui les avait précédées. » Le camp du Progrès ne saurait connaître d'obstacles à son inexorable marche en avant. Toute nouveauté, technologique ou sociétale, est considérée comme une avancée automatiquement émancipatrice.Confiance aveugle, et fascinante, que celle des dévots de la religion du progrès en l'idée que l'histoire progresse et que demain sera forcément meilleur qu'aujourd'hui.

 

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Le camp du progrès est en marche


Comme l’énonce clairement Pierre-André Taguieff « Le culte contemporain du « Changement », qu’on trouve dans l’espace politique comme dans l’espace publicitaire, représente la dernière figure prise par le système des croyances progressistes. Pour le dire d’un mot, ce culte rendu au dieu « Changement » est le degré zéro de la « religion du Progrès », aujourd’hui moribonde. La principale figure contemporaine du néo-progressisme est ce que j’ai appelé en 2000 le « bougisme », disons, pour simplifier, le culte du mouvement pour le mouvement, du changement pour le changement, fondé sur le postulat que « changer » est bon en soi, ou que le changement incarne une valeur intrinsèque, qu’il faut donc le vouloir en tant que tel. Une fois convertie au « changisme » ou au « bougisme », la propagande politique ne se distingue plus du discours publicitaire. »


Selon Muray, « Le formidable progrès des sciences, joint au désarroi général et à l’envie sourde de se débarrasser du fardeau sexuel est en train de fusionner dans une espèce d’idéologie new age qui n’a même plus besoin de dire son nom. » Idéologie pseudo-rebelle érigeant les Femen en modèle féministe et Stéphane Hessel en indignateur en chef méritant le Panthéon comme ultime demeure.

 

 

La médisance, l’arme des âmes vertueuses


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Un autre moyen d'évacuer le débat est de délégitimer l'autre en fonction de sa position sociale : « tu ne peux pas parler de ça car tu n'as pas vécu ce que moi j'ai vécu ! ». À croire que seuls les homosexuels victimes d'une homophobie quotidienne ont le droit de s'exprimer sur le mariage gay. Une position victimaire qu'analysait globalement Marcel Gauchet dans Les sources et les métamorphoses contemporaines de l’individualisme : « L’individu contemporain veut qu’on entende sa plainte singulière. Cela veut dire par exemple que cet individu privé, pour se faire entendre, s’identifiera très volontiers à la position de victime. C’est une manière de dire: « Attention, je ne suis pas comme vous parce que moi j’ai souffert de discriminations, d’humiliations, d’épreuves qui me mettent dans une position particulière qui demande à être reconnue dans mes relations avec les autres ». Il a d’autant plus besoin des autres qu’il a cette demande mais ses relations ne sont pas vécues sur le même mode que cet individu abstrait qui s’abstrayait de lui-même pour avoir des relations avec les autres et s’inscrire en société comme citoyen. Inutile de dire que cet individu d’un type nouveau n’est pas extraordinairement civique. »


Une réflexion qui rejoint la critique que faisait Didier Lestrade sur la communauté homosexuelle : «  En fait, l’obsession de l’homophobie est consensuelle dans un milieu associatif LGBT qui se déchire avec rage. C’est le dénominateur commun qui permet de ne pas aborder les questions plus graves : si les gays sont vus sans cesse sous l’angle victimaire, est-ce que cela les dégage de leurs responsabilités en termes de prévention du sida et de santé publique ? Non. Et ça, personne ne le dit. Une minorité ne doit pas seulement exiger, elle doit nourrir la société par sa réflexion et ses efforts, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. » Peut importe la réflexion permettant de faire imploser les schémas dominants quand il suffit de réclamer avec véhémence en éructant de tout son être.


 



Rire de l'abject modernité


Sournoise violence des âmes vertueuses qui tout à festoyer de leur moderne supériorité n'en oublient pas de frapper avec hargne. Les exemples ci-dessus en sont une bonne illustration : « voilà quelques-unes des violences radicales et sauvages (mais toujours approuvées) qui se cachent derrière l'angélisme d'Homo festivus, son parler-bébé continuel, son narcissisme incurable, sa passion des contes de fées, son refoulement du réel (toujours « castrateur »), son illusion de toute-puissance, sa vision confuso-onirique du monde et son incapacité, bien sûr, de rire. » percevait lucidement Muray. De biens tristes sires, ces sujets de l'Empire du Bien, incapable d'esquisser le moindre sourire tant leur combat est une affaire sérieuse qui ne tolère par le rire inapproprié.


« Rire de façon inappropriée » est presque devenu un délit : rire du prophète Mahomet est islamophobe, rire de la gay pride est homophobe, etc. Desproges avait beau répéter « qu'il vaut mieux rire d’Auschwitz avec un juif que de jouer au scrabble avec Klaus Barbie », rien n'y fait, l'humour – comme le comportement responsable de tout bon éco-citoyen qui se respecte – doit être amical, indolore, doux, potache et ne porter tort à personne. Très peu sont ceux qui goûtèrent à la géniale manif du « Mariage pour personne » où l'on pouvait entendre de savoureux slogans comme « Mariage partout, bonheur nulle part ! » ou « Mariage pour personne, cannabis pour tous ! ». Inappropriée, vous pensez...


Et au diable les rabat-joies, maudissant notre époque, préférant la confrontation démocratique – la vraie – avec l'Autre, la subversion lyrique, plutôt que la communion gluante dans le Même ! Attention, car les belles âmes se tiennent en embuscade, elles sont légion, majoritaires et puissantes. Mais...


« Mais ils ne continueront pas toujours, car leur folie devient évidente à tous »

Saint-Paul, Deuxième Épître à Timothée

 

 

Boite noire


 


Sylvain Métafiot


(Petites précisions, pour éviter les malentendus : je suis de gauche, je hais les homophobes et je suis favorable au mariage homo)

 

Commentaires

 

La précision de la fin fait perdre toute saveur au texte...

 

Je me sentais un peu obligé de notifier le fait que je ne suis pas un affreux réac sexiste.

Dans ce genre de polémiques on est vite pris pour ce qu'on est pas quand on essaye d'esquisser une réflexion qui ne colle pas au manichéisme ambiant.

De fait, j'espère gagner en lucidité ce que je perds en saveur.

 

Nous ne sommes donc pas si opposés que ça à la lecture de ton texte.

par contre c'est toi il y a quelques années qui disait que l'on ne pouvait pas parler d'un sujet si on était pas concerné (notamment sur les religions).

dommage également que tu termines par une citation d'un saint, et par ta précision (on s'en doutait...)

sinon je suis ravi que tu ais cité Didier Lestrade, auteur que je connais bien et que j'ai eu l'honneur de rencontrer également.

bonne journée à toi,

Didier

 

Heureux que nous tombions d'accord sur l'essentiel. Lestrade dit des choses très intéressantes, notamment dans son interview à Article 11, et son parcours atypique mérite le respect.

Quand à savoir si l'on est en droit de discuter de tel ou tel sujet, il me semble qu'un sujet de société doit pouvoir être discuté par... la société. C'est-à-dire tout le monde. Bien évidemment, ce n'est pas parce que toute le monde à un avis dessus que tous les avis sont intéressants, loin de là.

Finir par une citation de Saint-Paul, outre le fait qu'elle conclue plutôt bien mon propos, est une sorte de défi personnel, pour moi l'athée anti-clérical. Ne pas être sectaire c'est aussi reconnaître de la beauté et du sens dans le "camp d'en face". Bien que non catholique, lire les textes sacrés, et la Bible en particulier, d'un point de vue littéraire et mythologique m'en apprend beaucoup, sans compter le plaisir d'une certaine poésie transcendante.
On peut trouver ça paradoxal ou contradictoire mais c'est aussi ça penser contre soi-même. Et ça fait du bien.

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