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samedi, 02 novembre 2013

Gravity, Cuaron fils de Tarkovsky

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Écrire une critique de Gravity, c’est compliqué. Formellement, déjà, on ne peut pas dire que Gravity soit un film loupé. L’image est bonne, la 3D bien utilisée, le jeu d’acteur bien interprété (qui vaudra peut-être un Oscar à Sandra Bullock), le scénar tendu nous entraîne même si on devine trop sa fin, seule une utilisation un peu trop Hollywoodienne de la musique et du montage, la post-prod, est à regretter.

 

Pour certains, ça s’arrête là, un bon Survival de plus, avec de la technique intéressante et des frissons face au vide intersidéral rappelant le personnage de Kubrick s’éloignant dans l’obscurité de 2001, l’odyssée de l'espace.


Pour d’autres, qui connaissent Cuaron, c’est tout autre chose : le film d’un allié. Là où les superproductions débitent d’éternels films se ressemblant tous, de l’hyper-individualisme de Seul au monde, à la gloire de la technique et de l’intelligence d’Appolo 13, les survivals sont coincés et épris de modernité, comme si le monde actuel était une panacée, la solution à tous nos problèmes et le progrès technique et individualiste, la seule voie viable. Hollywood distribue l’hégémonie américaine, vendant des iPhone comme arme et le « do it yourself » comme cri de guerre face aux affres de la vie.

 

Dans Gravity, nous avons tout l’inverse. Une méticuleuse destruction de ce système. Ce film rembobine l’histoire.


Le Parcours initiatique


Gravity,Cuaron,Tarkovsky,Vincent Froget, cinéma,critique,Kubrick,2001,Saint Christophe, Christ,rennaissance,religion,bouddhiste,mystique,Les fils de l'homme,John Ford,solaris,Tarkovsky,La première étape, c’est le monde américain, la technique va bien, on discute trop pour rien dire, on gaspille ses ressources, et tout le monde travail gentiment dans son coin. Puis, hasard de la concurrence dans l’espace, des débris d’une station voisine russe viennent gâcher la fête. Un membre de l’équipe n’obéit pas, ne pense qu’à elle, à sa petite tâche, son petit être, et c’est la catastrophe, peut-être inévitable. La société américaine est décimée, broyée. L’individu est entraîné par la technique, il s’en détache. Trop tard, il part à la dérive, dans le néant, l’oubli.

 

Faisant preuve d’abnégation et du Semper Fi américain, leurs valeurs traditionnelles, le héros vient rechercher sa brebis égarée, celle qui a commis la faute, malgré le désastre qu’elle a potentiellement engendré. S’ensuit une longue traversée spatiale, raccordé, liée, un couple formel, indissociable pour sa survie. Là, une des révélations du personnage arrive, sa fille est morte, et elle est inconsolable, rien ne l’a retient en bas, son esprit est mort et vogue dans le néant. Nihilisme.

 

Ils arrivent désormais à la capsule Russe, là où la vie devra reprendre sens. Après un problème pour s’arrimer à elle, le héros doit mourir, il se sacrifie pour donner une chance de survie à l’autre, à la fautive. Mais la capsule est endommagée et il fait froid. Désorientée, apeurée, le personnage principal décide de se laisser mourir, au doux son d’un illustre inconnu et sous le regard bien vaillant du Saint Patron des voyageurs portant le Christ. Nous y reviendrons. Puis le mirage, un songe, une révélation, une « visite » et la voici revivre, pleine d’enthousiasme, transcendée. Elle est réhabitée. Mais ce n’est pas encore assez, elle doit traverser les enfers, éprouver sa foi, la capsule est retenue par un cordon, elle doit le couper pour survivre, accepter le deuil de son enfant, pour « se laisser aller ». Dehors, les débris reviennent et détruisent tout, l’enfer s’abat sur elle, pas d’autres choix, agir et prier.

 

La capsule s’éloigne maintenant de ce chaos pour rejoindre la station chinoise. Un saut périlleux dans l’espace avec un bête extincteur comme seul moyen de manœuvrer. Malin mais pas pratique, détournant au passage la technique et essentialisant l’objet, elle réussit de peu à s’arrimer. Le temps presse, il faut se dépêcher. Dans le monde asiatique tout est une affaire d’équilibre et celui-ci est menacé, la capsule entre dans la zone de friction avec l’atmosphère. Les choses se précipitent. Là, assise à l’intérieure, elle attend le résultat de son sort, acceptant à la fois la vie et la mort comme deux possibilités intrinsèquement liées d’une ambiguïté qui ne dérangera pas les taoïstes. Le feu gagne la coque puis l’intérieur, la capsule entre dans l’atmosphère avec ces débris constituant des ailes de phénix. La renaissance bouddhiste, la palingénésie orphiste sont ici.


Puis l’atterrissage dans l’eau, la naissance dans ce bain primordial qu’à toujours représenté la mer. Une grenouille inopportune et quelques algues pour rappeler l’explosion cambrienne. Du signifiant, peut-être un peu lourd.

Et puis, il y a l’arrivée sur la terre ferme. Alors là, oui, c’est couillon, l’allusion à l’homme qui se redresse comme un homo erectus après l’explosion cambrienne. À part que, non, ce n’est pas le corps de l’homme qui se redresse ici, c’est son esprit.

 

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Décorticage du message


Gravity n’est ni contre la technique, ni pour, ce qui est certain c’est qu’il l’a désacralise. Cuaron, malmène et détruit l’idolâtrie moderne pour l’outil déjà dénoncé dans 2001. Gravity, c’est cela, un acte de foi dans l’humain, non pas pour ce qu’il peut faire mais pour ce qu’il est. C’est aussi un être humain qui quitte l’illusion mortifère qu’il a de son intelligence pour se ré-accorder au monde et au cosmos, comprendre sa grandeur et son indépassable. C’est l’histoire d’un homme qui comprend son humilité fasse aux éléments si présent, et sa petitesse face au vide intersidéral.

 

Un des autres messages, c’est aussi le gender study, celle d’une femme androgyne, enfant, paternée par un homme. Celui-ci va, par son sacrifice, la libérer, la rendre autonome et lui permettre de renaître pleinement femme, pleinement mère, non pas au sens biologique mais au sens spirituel, matriciel, de celle qui porte la Vie comme symbole final.

 

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Gravity, c’est aussi son titre, tout simplement. La loi universelle, naturelle, dont l’homme ne pourra jamais s’absoudre, notre éternelle ennemie, la condition humaine, mortelle, les choses tombent et périssent. Ce film, c’est une acceptation et une transcendance de cela dont seul les religions se sont vraiment inquiétées, d’où leur présence dans ce film.

 

C’est aussi ce corps quasi-nue, sans presque d’objet manufacturé par l’homme, là sur la plage dans la nature. Cette image, c’est celle d’un monde où l’homme s’y réinstalle, acceptant l’indispensable symbiose que nous devons avoir avec l’univers. À milles lieux de l’univers Kubrickien, où l’homme est un étranger à tout.

 

Projet formel


Sur sa forme le film porte encore là, plein de messages et d’émotions imperceptibles et pourtant lourdes de significations. Gravity est aussi un film sur la mère, pas le personnage mais le rôle, que ce soit Gaïa la Terre, constamment en arrière plan, ou Ryan. À ce sujet, on peut noter une redondance de forme ronde et de cycle qui parsème le scénario.
Mais c’est aussi une histoire linéaire, violente, tumultueuse, une histoire d’axe et de pénétration, dans ses cycles et ses rondeur, celles des capsules et celle de la terre à la fin.

 

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Car il s’agit évidemment d’un huis clos, inversé, comme les westerns de John Ford, l’homme face à lui-même et à l’autre, sans aide, sans paternalisme d’un État ou d’une culture protectrice. Le vide, le plein et les éléments frappent les coques et les corps dans ce film, sans aucune forme de pitié. Ce huis clos, il est multiple, passant d’un espace de prison à un autre avec des espaces de liberté tout à fait relatifs. Le fameux travelling se terminant dans le casque n’est autre qu’un des nombreux allers-retours intérieur-extérieur du film. D’un seul coup, nous sommes prisonniers du scaphandre, qui se transforme en cercueil l’espace d’un moment. Une allégorie de la vision d’un corps comme objet, comme simple enveloppe, emprisonnant notre âme et l’emportant dans le néant par la mort.

 

Gravity, un huis clos inversé disais-je, c’est tout à fait à considérer, l’extérieur est l’espace de danger. À l’opposé des huis clos, il faut ici rentrer pour être sauvé, dans les capsules, puis sur terre.

 

L’esprit porté et l’enfant


Gravity,Cuaron,Tarkovsky,Vincent Froget, cinéma,critique,Kubrick,2001,Saint Christophe, Christ,rennaissance,religion,bouddhiste,mystique,Les fils de l'homme,John Ford,solaris,Tarkovsky,Ce qui dérange peut-être dans ce film, c’est le personnage de Ryan, un peu vide, un peu opaque, simple et accessible comme un enfant naïf. Un personnage mal écrit ? Non, car il est évident qu’ici Ryan n’est qu’un prétexte, un crochet, comme Monsieur Hulot ou plutôt comme l’enfant du premier film de Tarkovsky. Elle nous prend et nous transporte, elle est notre véhicule dans cette histoire métaphysique ou chacun pourra s’y reconnaître, y trouver des éléments de réponse.

 

Pour ceux qui ont vus Les Fils de l’homme, la partie qui suit vaut pour les deux. Cuaron film entre deux positions, subjectives et objectives. Nous subissons les affres du personnage mais nous ne savons pas ce qu’il ressent, ce qu’il pense. Pour donner une image simple, nous sommes à la place d’un enfant que le personnage porterait, nous aurions froid et peur comme lui, mais nous ne sommes pas dans sa tête.
Cette image de l’enfant portée, nous la voyons dans le film avec l’icône de Saint Christophe portant l’Enfant, le Christ.

 

La figure de l’enfant est en effet chez lui primordial. Dans Les Fils de l’homme, l’enfant doit naître et vivre, il est un être réel mais aussi théorique, dans lequel le personnage met tous ces espoirs et même sa vie. Dans Gravity, l’enfant est mort, la fille n’est plus et personne n’y pourra rien changer. Pourtant le film raconte l’histoire de sa renaissance au travers de sa mère. Cette renaissance de l’Enfant, ce n’est bien sur pas celle de sa fille, mais celle de l’esprit qui conduit chacun à aimer l’avenir et donc à vouloir des enfants, cet amour de l’homme pour la vie, ce goût de survivre dans les pires atrocités, ce regard naïf sur le monde.
Cuaron reprend la binarité de Tarkovsky, le monde adulte, froid, technique et violent contre l’enfance, naïve, naturelle et chaleureuse.
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Totalement transcendé par son expérience mystique, religieuse, après avoir rugit comme un lion et s’être battu, le personnage principal arrive finalement sur terre et peine à marcher, non pas comme un homo erectus, non, mais comme un jeune enfant parti à la découverte du monde.

Gravity détruit la machine en passant par la culture, le religieux, qu’il délaisse dans l’espace. C’est un homme réconcilié avec sa nature et la nature tout court qui revient sur terre, dans un mythe presque prométhéen.

 

Reste à la fin, cette curieuse ligne de dialogue, à peine audible : « Thank you »

Je vous laisserai vous-même décidé de qui est le « you ».

 

Vincent Froget

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