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vendredi, 14 novembre 2014

Pour en finir avec la poétique de l'intentionnalité

 

Tout d'abord qu'est-ce que la poétique ? La poétique consiste à définir ce qui sépare une œuvre d'art du reste des objets et des événements de la vie courante. Au fond, la poétique est ce qui permet de distinguer la particularité de l'art, son caractère sacré, du reste des objets d'artisanat ou des événements du quotidien.

Le regard autocentré


Aujourd'hui et depuis le XIXème siècle, la poétique de l'art est définie par l'intention de l'artiste. Il suffit donc qu'un artiste, ou même une personne lambda, décrète son œuvre comme étant de l'art pour que cela en soit. C'est ce qu'on appelle la poétique de l'intentionnalité.


poétique de l'intentionnalité,vincent froget,art contemporain,mc carthy,regard autocentré,punctum,structum,roland barthes,émotion,affect,oeuvre d'art,piss christ,règne de l'invididu et du désirSoyons clair cependant : ce n'est pas parce que celle-ci sera décrétée comme œuvre d'art qu'elle ne pourra pas être jugée mauvaise par la suite. Mais cette étape est laissée aux spectateurs et aux critiques. Il faut pourtant bien comprendre qu'en étant qualifié d’œuvre d'art, l'objet ou l'événement est protégé par la sanctification de l’appellation, peu importe sa qualité.

Le plus gros souci de cette poétique, c'est de mettre dans le même sac une sculpture de Barrias et le plug anal de Mc Carthy, Freddy Mercury et Justin Bieber. La différence ne sera alors qu'une question de « goût et de couleur », horrible expression qui rabat à elle seule l'art au niveau d'un individualisme de préférence, comme s'il était impossible de donner de la valeur à quelque chose que l'on n'aime pas par goût.

Définitivement, la poétique de l'intentionnalité s'accompagne d'une époque à son niveau et à sa nature : le règne de l'individu et de son désir.

 

Faut-il pour autant changer de poétique ? Cela semble une urgence. Le XXIème siècle voit naître la démocratisation des moyens de production artistique mais surtout la facilité de diffusion des œuvres par Internet. Tout le monde va donc pouvoir être artiste – ce qui n'est pas un mal en soi mais la possibilité de faire le tri va devenir impossible. Les génies seront noyés dans l'océan de production cybernétique et il y a fort à parier que ne réussiront que ceux capable de promouvoir leurs œuvres, réduisant l'art à une donnée d'ordre commercial. Les paires de seins et les provocations petites bourgeoises n'ont donc pas fini d'envahir les œuvres comme dans une vulgaire publicité pour shampooing. Il faut donc bien distinguer le vulgaire du beau, sans quoi nous devrons bientôt appeler « art » l'ensemble de Pornhub.

 

Le punctum et le structum

 

poétique de l'intentionnalité,vincent froget,art contemporain,mc carthy,regard autocentré,punctum,structum,roland barthes,émotion,affect,oeuvre d'art,piss christ,règne de l'invididu et du désirRoland Barthes, dans La Chambre claire, distingue le punctum et le structum. Le punctum est la part personnelle d'interprétation de l’œuvre, le fameux « goût et couleur ». Le structum, quant à lui, est la qualité artisanale de l’œuvre, le savoir-faire au service de l'émotion suscitée. Il serait en effet très difficile de juger de manière universelle la qualité de l’œuvre au sujet du punctum, bien que certaines thématiques touchent facilement tout le monde (l'amour, la mort, la famille...). En revanche, juger l'œuvre sur sa qualité de médium, sur le travail de finesse, de force ou de complexité, voilà qui semble bien plus réalisable.

Une poétique pourrait donc laisser libre l'interprétation du goût et des couleurs de chacun tout en permettant de juger de la qualité de l'ouvrage en terme de savoir-faire, de beauté et de sens esthétique dans la réalisation. On pourrait alors facilement distinguer un vulgaire plug anal au vert épouvantable et à la géométrie d'une complexité digne d'un enfant de maternel, d'une œuvre digne de susciter une émotion, même provocante.

Une poétique adaptée donnerait donc le punctum (l'émotion) comme condition première et jugerait du structum comme médium pour y parvenir.

 

Dès lors, pour décrété qu’une œuvre soit art, il faudrait tout d’abord vérifier qu’elle produit une émotion, qu’elle se distingue de l’ensemble des objets et des évènements qui n’en dégagent pas.

 

Ce premier point n’est pas anodin car il parle en fait de la réussite de l’œuvre. Si vous ne rigolez pas devant une comédie ou que vous ne frissonnez pas devant un thriller, il y a fort à parier que l’œuvre soit loupé, ce qui ne permet plus de la distinguer comme œuvre. Pensez à tous ces tableaux qui ne dégage rien mais qu’on verrait très bien en déco ou en papier peint.

 

Deuxièmement, il faudrait que la qualité artisanale fasse preuve d’un certain niveau esthétique.
Mais comment juger de son niveau ? Et à quel niveau mettre la barre pour accorder que l’on passe d’une œuvre de médiation, comme une publicité, à une œuvre d’art ?

 

C’est peut-être ici qu’il faut aller chercher une notion dans le caniveau des horreurs que représentent la politique des auteurs, le style. En effet, une œuvre marquée par le style d’un auteur se dégage immédiatement d’une production courante, convenu, scolaire ou hasardeuse.



L’émotion face à l’affect

 

poétique de l'intentionnalité,vincent froget,art contemporain,mc carthy,regard autocentré,punctum,structum,roland barthes,émotion,affect,oeuvre d'art,piss christ,règne de l'invididu et du désirTel des poupées russes faut-il maintenant définir précisément ce qu’est le style. Le style représente la particularité d’un auteur à combiner ensemble les différents éléments qui vont constituer une œuvre d’art et ceci dans le but de parvenir à une émotion particulière, une ambiance, dégageant non seulement l’œuvre du quotidien mais aussi du reste des autres œuvres.

 

Si l’on résume, une œuvre qui fonctionne d’un point de vue émotionnel et qui se distingue des autres par son caractère particulier serait alors à coup sûr une œuvre d’art.

Prenons l’exemple du plug de Mc Carthy, dégage-t-il une émotion ? Non, l’étonnement ou les réactions suscitées ne sont pas produit par l’œuvre mais par ce qu’elle représente, exactement comme une vidéo de chat ou de bébé. Ce n’est pas la vidéo qui produit de l’émotion, c’est le chat ou le bébé comme ils le produiraient dans le quotidien. Imaginer que vous entriez chez quelqu’un et que vous trouviez un plug anal sur la table basse, vous auriez aussi une émotion.
Sur le deuxième point, il semble que l’auteur est un style un peu cartoon et centré sur ce qui se passe entre les fesses. Pour beaucoup l’œuvre de Mc Carthy doit à sa thématique plus qu’à son style cartoon.


Il est donc difficile de juger l’œuvre de Mc Carthy comme autre chose qu’une œuvre pauvre et ratée. Or un brouillon ne fait pas vraiment œuvre et une réalisation qui aurait dû finir à la poubelle n’a rien à faire devant les yeux des spectateurs.

 

Toutes cette réflexion nous a pourtant permis de dégager une des arnaques de l’art contemporain. En effet, beaucoup d’œuvres contemporaines doivent l’émotion qu’ils suscitent au référé qu’ils utilisent. Si nous prenons encore l’exemple du Piss Christ, demandez-vous que ressentirez un dévot en voyant une Croix tomber dans la cuvette des chiottes. Il y a fort à parier que les émotions soit similaire. L’œuvre n’ajoute rien au réel.
Prenons encore un exemple : le cul. Est-ce qu’un gonzo dégage autre chose que ce qui se produirait si les actions se passaient devant vous réellement ? Pas tellement. Vous seriez excité peut-être juste un peu plus. Pour autant une scène de sexe ou simplement de nue peut avoir une véritable valeur ajoutée grâce au talent d’un artiste. Personnellement, Eyes Wide Shut ne m’a jamais suscité la moindre érection. Cependant, ce film me trouble rien qu’en y repensant.

 

Ce dernier exemple nous permet vraiment de constater ce qui fait œuvre d’art : se dégager du réel par une valeur ajoutée grâce au talent d’un auteur.


Au final, cette nouvelle définition est beaucoup plus hasardeuse, flou et subjective, mais elle a au moins le mérite de ressembler au domaine qu’elle veut juger. "Car la poétique de l’intentionnalité, avec son diktat des artistes, semble beaucoup plus attirée par la mise sur le marché des œuvres que par l’émotion souveraine et intime du spectateur.

 

Vincent Froget

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