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samedi, 13 juin 2015
Hic & Hec de Mirabeau : gîte en bois pour un feu de poutre
« Ils veulent que chacun soit aveugle comme eux
C’est être libertin que d’avoir de bons yeux. »
Molière
Du comte de Mirabeau (1749-1791) nous connaissons surtout le personnage révolutionnaire, le tribun parlementaire, auteur d’essais politiques contre le despotisme et de discours enflammés. Pourtant, à l’égal de certains de ses plus illustres contemporains (Laclos, Casanova, Sade, Diderot, Crébillon) Mirabeau excella dans le genre du roman libertin, souvent sous couvert d’anonymat. Publié après la mort de l’écrivain, Hic & Hec s’inscrit dans la lignée d’Erotika Biblion et du Rideau levé, ou l’éducation de Laure. Un petit roman licencieux dont Apollinaire affirmait qu’il « a été écrit avec une grâce et un esprit qui sont rares » et dont la lecture peut redonner son ardeur d’antan au plus frigide des ancêtres.
Ici l’on s’égare
Hic-et-Hec c’est ainsi que se nomme le héros de cette histoire. Jamais appelé autrement que par « ceci et cela », ce jeune androgyne délicat goûtera ainsi aux divers plaisirs de la chair, tant avec les femmes qu’avec les hommes, dans des bras novices autant que dans ceux de ses ainés, alternant les jeux et les joutes sexuelles avec la même avidité. Puritains, détournez les yeux ! L’éloge des amours interdites commence dès les premières pages de cette douce aventure dévergondée.
Les mains baladeuses de son maître d’école seront ainsi les premières à éveiller les recoins mystérieux du corps du jouvenceau. Tantôt par d’indécentes caresses, puis par des coups de verges bien senties que le jeune écolier retournera, avec la même « tendresse », à son régent Jésuite : « Enfin je m’enhardis et, empoignant son sceptre comme il avait fait du mien, je le fustigeai si vertement qu’il versa des larmes de plaisir. […] Il fut mon Socrate, je fus son Alcibiade ! Tour à tour agent et patient, il mit sa gloire à perfectionner mon éducation. »
Instruit des notions de théologie c’est en tant qu’abbé qu’il se présente au domicile des bien-nommés de Valbouillant en vue de prodiguer son savoir au jeune fils de madame. Cette dernière, belle bourgeoise aux formes charnues, ne tarde pas à évaluer personnellement les compétences intellectuelles, mais surtout physiques, du jeune précepteur. Pour sûr, il court, il court, le furet ! Quant au mari, revenant d’un voyage en Italie et découvrant les loisirs de sa femme, pensez-vous qu’il s’époumone de jalousie ? Au contraire, cet ancien capitaine des dragons souhaite ardemment participer aux ébats : « Comment rester fâché contre de si chers coupables ? Ce sein, dit-il en le baisant, et elle l’avait superbe, et ces jumelles, ajouta-t-il en frottant de la main l’autel où il venait de sacrifier, attendriraient un tigre ; de plus, je n’ai pas compté que tu pusses rester fidèle pendant une si longue absence. J’ai gagné dans mon voyage une bonne succession et des cornes. La première me fait plus de bien que les autres ne me feront de mal. N’apprêtons point à rire, soyons discrets et jouissons sans scrupule de tous les plaisirs que notre âge et notre fortune nous offrent ; évitons le scandale et moquons-nous du reste. »
Puis, c’est au tour de la jeune Babet, la filleule de Mme de Valbouillant de passer à la casserole. Là encore le partage est de mise et, à l’instar du coït pratiqué entre l’abbé et le mari, madame tombe sous le charme de sa servante : « Elle la déshabilla totalement et nous fit voir un corps dont Hégé aurait été jalouse. Aux caresses que Mme de Valbouillant prodiguait à chacun des charmes de sa filleule à mesure qu’elle les découvrait, je reconnus aisément que, quelque goût qu’elle eut pour le solide, elle pouvait, voluptueuse émule de Sapho, savourer avec une jolie nymphe les agréables dédommagements dont la Lesbienne usait en l’absence de Phaon. Je voyais son front s’animer, sa gorge se gonfler et ses yeux pétiller à mesure que ses mains parcouraient les charmants contours de ce corps pétri par les Grâces. »
Viendront encore de nombreux batifolages entrecoupés, çà et là, par de petites histoires coquines racontées par les protagonistes eux-mêmes. Leur permettant de reprendre leur souffle entre deux fouteries, ces courts récits – n’ayant pas la complexité narrative des Mille et Une Nuits – servent également à conserver l’excitation des sens en relatant leurs premiers émois sexuels, leurs truculentes déflorations.
La morale au bordel
Mirabeau, en bon libertin physiocrate, n’hésite pas à insérer dans son récit des pratiques aussi scandaleuses que l’inceste et la pédophilie, voire l’homosexualité pour l’époque (et sans parler des sex-toys utilisés par les nonnes !). Mais son érotisme demeure joyeux, jamais amer. Prenant le parti de Boccace ou de Pétrone (qu’il cite explicitement), et contrairement aux cruautés répétitives de Sade, ses orgies baignent dans un bain doucereux de tendresse, de complicité et de liberté. La caresse émancipe, le plaisir confine à la joie. Et c’est avec amusement que l’on découvre des pratiques aussi saugrenues que « le cheval fondu », « la main chaude » et « le pet-en-gueule ». Même les plus insensibles sont pris d’une fièvre concupiscente. Ainsi de la mère de Babet dénonçant les activités de sa fille à l’évêque de la ville et qui se retrouve, bien malgré elle, dans le feu de l’action :
« La vieille, qui dans l’abord voulait me mordre, me dévisager, prit enfin son mal en patience :
– Bonté divine ! s’écria-t-elle en remuant la charnière, ah ! chien… mon doux Jésus… quel dommage que ce soit un péché…
– Dis plutôt quel bonheur ! criait le prélat, me rendant les mouvements de Valbouillant, va, rien ne vaut le fruit défendu…
– Je me damne, répliquait la vieille toujours tordant le croupion.
– Va toujours, j’ai les cas réservés. »
On pourra toujours tiquer sur l’éclatement des tabous et de toute morale – caractéristique essentielle de la tradition du libertinage du XVIIIème siècle où l’hédonisme charnel est érigé en idéal libérateur contre le joug rigoriste de l’Église – transformant, dans sa logique extrême, les individus en objets sexuels : « La signora Magdalani observa que la société, toute charmante qu’elle était, péchait en ce qu’il y avait plus de consommatrices que d’objets de consommation. » Mais il faut prendre les choses en riant, notamment le renversement des mœurs des gardiens spirituels. Ce que fait le jeune abbé, avec esprit et roublardise :
«– Comment, dit-elle, la mère dans les bras du fils, la fille dans ceux du père !…
– Eh ! madame, rappelez-vous d’avoir lu quelque part : « Qui doit goûter des fruits d’un arbre, si ce n’est celui qui l’a planté. »
– Il est vrai, mais le préjugé ?
– Le préjugé tient-il contre la loi du Créateur ?
– En est-il qui permette à un père, à une fille, à un frère, à une sœur ?… Fi donc, cela répugne.
– À qui donc a-t-il dit : Croisez et multipliez ? N’est-ce pas à Adam, à Ève, à ses fils, à ses filles, il ne regardait donc pas l’inceste comme un crime, puisqu’alors il le commandait. »
Prenant également le contre-pied du puritanisme religieux, l’évêque (« l’Apollon du Vatican ») n’hésite pas à vanter auprès de sa sœur les mérites de l’éducation charnelle sous l’égide de la responsabilité individuelle. Le souci philosophique de Mirabeau : l’éducation des jeunes filles. Sa conviction : les rapports sociaux doivent être guidés par les lois de la nature. La majorité veut se gargariser d’une fausse morale alors que chacun, en son for intérieur, cherche l’extase luxurieuse :
« – Quelle enfance ! elle est d’âge à tout savoir et je dis plus : il peut être dangereux de ne pas l’éclairer : que de fautes l’ignorance ne fait-elle pas commettre ? Une jeune fille à qui on ne cache rien est plus en état de repousser la séduction, et, si elle y cède, du moins elle évite le scandale qui, je le dis entre nous, est le plus grand mal moral. Qu’importe à la société que je satisfasse mes besoins physiques ou que je m’en prive, pourvu que je ne nuise pas au bonheur d’autrui, que je ne lui enlève pas sa propriété, que je n’altère pas ses jouissances et que je ne lui cause ni chagrin ni douleur ?
– Mon frère, dit-elle en souriant, diriez-vous cela dans une de vos homélies ?
– Oui, quand je parlerais à des gens que je voudrais éclairer ; mais en chaire, non, le peuple en masse veut être trompé, l’ignorance aime les prodiges ; une religion sans miracles trouverait peu de sectaires et les mystères qui répugnent à la raison entraînent la crédulité du grand nombre ; je continuerai à jeter de la poudre aux yeux du peuple ; mais je serais loyal et sans scrupules avec mes amis. »
Ici l’on se retrouve
Reprenons un verre de vieux vin d’Alicante et écoutons ce que disait Nietzsche dans ses Flâneries inactuelles : « Toute la haute civilisation et la grande culture littéraire de la France “classique” se sont développées sur des intérêts sexuels. On peut chercher partout chez elles la galanterie, les sens, la lutte sexuelle, “la femme” – on ne les cherchera pas en vain. » Admirable représentant d’un certain « esprit français » Mirabeau marie jovialement la pornographie et la philosophie. Nous l’avons vu, son beau style exclu l’ordurier et ouvre à la réflexion. Quel contraste avec l’indigence glauque de Christine Angot et consorts, ou de la mièvre collection Harlequin !
L’orateur de la Révolution nous abreuve de métaphores : les fesses sont des jumelles, le pénis un bijou ou un plantoir, les tétons des fraises, le vagin une fontaine… Et n’est pas non plus avare en comparaisons bibliques et mythologiques. C’est aux antiques figures que sont assimilés les ébats amoureux du jeune abbé et de ses partenaires. Diane, Jupiter, Sapho, Ganymède, Phaon et bien d’autres sont convoqués au banquet des plaisirs : « Des soupirs enflammés se faisaient entendre, on eût dit Vénus se consolant dans les bras d’Euphrosine en l’absence de Mars. » « Il faisait chaud, nous étions dans l’état de nos premiers pères dans l’Éden : nos serpents orgueilleux levaient une tête altière, et l’aspect des pommes que nous présentaient nos Èves nous faisait frémir de désir. »
Le récit se clôt sur l’évocation d’une nouvelle aventure polissonne dont nous ne saurons rien mais en imaginons aisément la tournure… Les variations des délices de l’amour sont aussi vastes que le permet notre fantaisie. Deux siècles après sa parution l’odeur de soufre d’Hic & Hec n’a pas disparue mais les censeurs atrabilaires et les vieilles mégères ne sentent que leur propre fiel. Nous laissant le loisir d’humer les délicats effluves de la sensualité. Et c’est d’un sourire bienheureux, l’âme comblée par tant de volupté, que l’on referme ce livre avec la seule main nécessaire à sa lecture.
Sylvain Métafiot
Article initialement publié sur Le Gazettarium
11:56 Publié dans Littérature | Tags : gazettarium, abbé, église, évèque, fesses, feu de poutre, gîte en bois, hic & hec, inceste, libertin, littérature érotique, mirabeau, morale au bordel, mythologie, nietzsche, pédophilie, pénis, sade, sapho, scandale, sensualité, sexe, sylvain métafiot, tabous, tétons, vagin, valbouillant | Lien permanent | Commentaires (0)
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