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mardi, 26 juin 2018
La banalité du mal : comment l’homme peut devenir un monstre
Article initialement publié sur Le Comptoir
Guerres, idéologies meurtrières, pression de l’autorité : toute situation de mise à l’épreuve entraîne des choix. Terrifiants pour certains qui se transforment en « salauds », courageux pour d’autres qui parviennent à rester intègres. Si les figures du héros et du bourreau évoluent au fil des siècles, elles ne cessent de nous renvoyer à nous-mêmes. Et nous enseignent de ne jamais cesser de penser.
Comment comprendre cette facilité des hommes à entrer dans des processus de violence extrêmes ? Nombre de raisons permettent d’éclairer ces conduites de destructivité. Parmi celles-ci, la soumission à l’autorité (du moins lorsqu’elle est revêtue d’une légitimité qui conduit à l’obéissance et à la docilité) ; le poids de l’idéologie qui déshumanise les individus ; la mise en place d’institutions (tels les camps de concentration) où les inhibitions morales sont d’autant plus aisément levées que certains sont placés dans des fonctions qui leur attribuent tout pouvoir sur les autres. Mais ces facteurs qui tiennent aux circonstances ou à l’environnement ne peuvent opérer de façon funeste que si les individus se laissent prendre par la contrainte exercée sur eux, quoiqu’ils n’en soient pas conscients, c’est-à-dire s’ils renoncent à la conscience de leur responsabilité personnelle.
À cet effet, le philosophe Michel Terestchenko, dans son essai Un si fragile vernis d’humanité. Banalité du mal, banalité du bien, propose de penser les conduites humaines face au mal selon un nouveau paradigme, celui de l’absence à soi ou de la présence à soi. Ce modèle a pour but premier de dépasser l’opposition traditionnelle égoïsme/altruisme, qui ne permet pas d’appréhender au plus près les conduites humaines de destructivité, pas plus que celles de secours (du moins si l’on donne à la notion d’altruisme le sens d’une action en faveur des autres, gratuite et désintéressée).
lundi, 11 juin 2018
Produits douteux : La Fabrique des héros
Article initialement publié sur Le Comptoir
Le héros est fabriqué : étymologiquement, c’est un personnage mythologique, un demi-dieu du paganisme gréco-romain. Sa construction peut être organisée pour servir des objectifs peu glorieux et son culte répond parfois à des fins manipulatrices et meurtrières.
L’accession au statut de héros, imaginaire ou réel, s’accomplit à travers un processus analysé dans La Fabrique des héros par une poignée de chercheurs, qui décryptent notamment « la fabrication du héros national en tant qu’il n’est jamais simplement donné par l’histoire, mais construit, à la fois culturellement et socialement, sa figure pouvant varier selon les périodes historiques et les contextes politiques ». Et de citer une kyrielle de personnages peu recommandables, de Franco à Mussolini, en passant par Hitler, Staline et bien d’autres. Car les totalitarismes cultivent les héros, le chef au premier plan, mais pas seulement : des personnages historiques récupérés et des nouvelles figures archétypales incarnant les valeurs du régime. Leur culte vise à unifier la nation : « Les héros nationaux, dont l’image est susceptible de manipulations ou de reconstructions circonstancielles, se prêtent tout particulièrement à l’exploitation nationaliste des sentiments d’appartenance collective ». Dans les systèmes totalitaires, les héros « sont la projection de l’Un – État, masses, parti, homme nouveau –, l’incarnation du fantasme générateur de la société nouvelle ». C’est aussi le culte des morts de la Première Guerre mondiale (pratiqué également par la France pétainiste) qui sert de terreau ou de ciment au régime, fasciste en Italie, nazi en Allemagne et à préparer les masses à la prochaine guerre. Voltaire, en 1735, comparait les héros à des bouchers : « J’appelle grands hommes tous ceux qui ont excellé dans l’utile ou dans l’agréable. Les saccageurs de provinces ne sont que des héros. » Il ressort en effet que le héros est souvent un guerrier, son culte annonçant les futurs massacres menés en son nom. Car la nation réclame “son lot de vies sacrifiées”, le sacrifice étant un critère primordial de l’héroïsation. Ainsi, des criminels de guerre eurent leurs monuments en Autriche ; les héros franquistes sont célébrés en Espagne ; au Japon le sanctuaire de Yasukuni commémore les criminels de guerre condamnés après la Seconde Guerre mondiale, comme ceux qui ont mené des opérations coloniales.
Le culte du héros devrait pourtant susciter la défiance. Il permet d’endormir les velléités de rébellion en offrant du prêt-à-penser, détourne l’attention des véritables problèmes, unifie autour de valeurs parfois abjectes, endoctrine, etc. « Malheureux le pays qui a besoin de héros », fait dire à son personnage principal Bertolt Brecht dans sa pièce La vie de Galilée. D’autant que les vrais héros, si l’on peut dire, n’ont pas besoin de statues. La plupart sont des anonymes et le resteront ou, du moins, ne feront pas l’objet d’un culte.
Dans nos sociétés démocratiques occidentales modernes, on assiste, décrit l’ouvrage, au « passage du modèle héroïque d’identification collective à l’individualisation et à la banalisation » du héros, plus éphémère (sportifs, stars, personnages emblématiques tels les pompiers, les “humanitaires”…). Dans la civilisation des loisirs et du spectacle, on parlera d’autant plus de héros fabriqué, produit, même s’il nécessite tout de même l’adhésion du public. Le culte a peu ou prou la même fonction : éduquer, édifier, unifier, endormir les protestations – unanimisme et bons sentiments pour éviter les polémiques. En France, les Coluche, Cousteau, abbé Pierre et autre général de Gaulle pratiquement béatifiés sont devenus des figures intouchables, interdites ou presque de critiques, ce qui n’est jamais bon signe. On fabrique des héros à tour de bras, des exemples à suivre, qui tirent les larmes et forcent l’admiration du bon peuple. La télévision en regorge, on n’y compte plus les personnages intègres au grand cœur, positifs à l’extrême, tendance moralisateurs, défendeurs de la veuve et de l’orphelin. Ici le héros n’est pas un salaud, et son culte n’est pas meurtrier. Simplement anesthésiant.
Sylvain Métafiot
20:07 Publié dans Politique | Tags : le comptoir, produits douteux, la fabrique des héros, sylvain métafiot, mythologie, propagande, alekseï stakhanov | Lien permanent | Commentaires (0)