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lundi, 03 août 2020
Guy Marignane : « Il y a une extraordinaire matière poétique chez Sade »
Producteur et scénariste, Guy Marignane a réalisé son premier long-métrage « Les Mélancolies de Sade » dans lequel l’écrivain est livré à la solitude de la détention et dont l’imagination révoltée sera sa seule échappatoire. Un théâtre d’ombre de lumière hanté par les lettres de Renée Pélagie et Mlle de Launay, le fantôme de son ancêtre Laure de Sade, l’apparition de son héroïne Juliette ou la conversation imaginaire avec Jean-Jacques Rousseau, dévoilant un Sade amoureux et insoumis, épris de doutes mais toujours de liberté.
Le Comptoir : Comment est survenue l’envie d’adapter une partie de la vie du marquis de Sade ? Et pourquoi cette période d’emprisonnement particulièrement ?
Guy Marignane : Le marquis de Sade est resté 27 ans enfermé, je me suis intéressé à la fragilité qui découlait d’une si longue peine ; le désir de mettre fin à ses jours, l’abandon des proches, qu’est ce qui fait que l’on tient, à quoi se raccroche-t-on pour tenir toutes ces années ?
Cet emprisonnement dans le film est la représentation métaphorique des cellules occupées toute sa vie Il ne s’agissait surtout pas de faire un biopic, en reprenant une période précise de l’histoire de Sade.
Une fidélité aux textes oui, mais pas de fidélité à sa biographie.
« Je voulais faire un film, court, dense avec une seule couleur. »
Les nombreuses correspondances de Sade constituent la matière première de votre œuvre. Avez-vous également consulté des biographies et des essais littéraires pour le travail préparatoire ?
Bien entendu, j’ai consulté les biographies de Maurice Lever et celle de Gilbert Lely, pour laquelle j’ai une vraie faiblesse, Lely était poète, et j’ai toujours associé Sade à la poésie, il y a une extraordinaire matière poétique chez Sade.
J’ai lu quelques essais, mais surtout de nombreux ouvrages de Sade, les plus connus mais aussi d’autres moins connus, comme ses Voyages d’Italie (1775), Aline et Valcour (1793), les Contes étranges (1800) qui se partagent entre réalité et imaginaire.
Puis j’ai laissé passé beaucoup de temps avant de commencer la rédaction d’une continuité.
L’utilisation du noir et blanc semble doubler la poésie des images et des évocations fantomatiques. Était-ce un parti pris de mise en scène dès le départ de la conception du film ?
Ah oui, et ce dès le départ. Quand j’aborde un film, je fais le choix d’une couleur et ici, c’était le noir et blanc, mais pour ne pas fixer les choses au moment du tournage et avoir le confort de travailler la gamme de gris en post production, avec de vrais noirs et de vrais blancs, on a tourné en couleur. À partir de ce choix du noir et blanc je décline tous les paramètres de la mise en scène autour de cette couleur, je crois qu’il y a un son en noir et blanc.
« Il y avait chez Sade une certaine élégance du style dans l’écriture à mettre en scène avec un certain raffinement les relations amoureuses mêmes les plus violentes. »
En plus dans mon film le noir et blanc nous aide à mieux faire entendre la beauté du texte. C’est une histoire de famille et de goûts qui se déclinent autour du noir et blanc, dans le titre du film, le choix des étoffes, du vent, de l’abondance des gros plans, de l’éclairage à la bougie, la charrette du charron, la longueur des plans, la lenteur de l’histoire, etc. Un noir et blanc au service de l’introspection de Sade en somme.
Le film fait la part belle aux scènes extérieures, sublimant la campagne du Vaucluse, et pourtant Sade détestait la nature. D’où lui venait ce dégoût ?
Sade est resté de cinq à dix ans chez son oncle, l’abbé de Sade, au Château de Saumane au cœur du Vaucluse, demeure isolée, balayée par le vent, située sur un piton rocheux, au milieu d’une nature sauvage.
Et pourtant, dans toute son œuvre, les références à la nature sont rares. Sade, comme il dit, s’intéressait à la conscience des hommes, et la nature pour lui était vraisemblablement l’affaire des humanistes, auxquels il s’opposait. Ce sont les entrailles des hommes qui l’intéressent, il y a quelque chose de très organique chez lui. Dans le film, la nature et la musique agressent Sade et représentent l’hostilité et les préjugés que l’on peut avoir sur lui.
Quel est votre rapport personnel au marquis de Sade ? Comment l’avez-vous découvert ?
Une rencontre, il y a six ans : on me propose de rencontrer Thibault de Sade, le descendant direct du marquis, je découvre alors un Sade bien loin des clichés qui circulent. Cela m’a donné envie d’aller plus loin, et de lire les biographies de Lely et et Levert.
À force de lire Sade, j’ai été pris par cette matière poétique qui se déployait. J’ai vite compris qu’il fallait que je laisse off, les piliers sadiens ; l’agnosticisme, le sexe et le révolutionnaire. Cela ne m’intéressait pas de faire un film qui exploiterait ces fondements, tout le monde connaît ou a son idée dessus et ça m’éloignait du cœur du film, de l’introspection mélancolique de Sade. Je voulais faire un film, court, dense avec une seule couleur.
« Ce sont les entrailles des hommes qui intéressent Sade, il y a quelque chose de très organique chez lui. »
Dans Le principe de délicatesse, Michel Delon affirme que « Sade revendique la fantaisie amoureuse qu’il a illustré à travers les pires violences imaginaires ». N’est-ce pas selon vous paradoxal ?
Je n’ai pas lu cet ouvrage mais si je comprends ce que veut dire Michel Delon, cela ne me semble pas paradoxal. Il y avait chez Sade une certaine élégance du style dans l’écriture à mettre en scène avec un certain raffinement les relations amoureuses mêmes les plus violentes. Sade a toujours mis en scène et s’est toujours mis en scène, et la mise en scène ouvre l’espace de la fantaisie en amour.
Et puis, dans le mot « fantaisie » il y a l’idée de donner libre cours à l’imagination. C’est une chose que Sade aborde dans le film, lorsqu’il échange avec sa femme « je respecte tous les goûts et les fantaisies quelques baroques qu’ils puissent être…et une fois analysé, on y trouve toujours un principe de délicatesse… »
Sylvain Métafiot
Nos Desserts :
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- Ainsi que Le principe de délicatesse de Michel Delon
- « Trois bonnes raisons de lire le marquis de Sade par Stéphanie Genand » sur France Culture
- Au Comptoir, lire notre article sur le documentaire consacré à Annie Le Brun
Article initialement publié sur Le Comptoir
13:00 Publié dans Cinéma | Tags : sylvain métafiot, le comptoir, les mélancolies de sade, renée pélagie, mlle de launay, laure de sade, guy marignane, il y a une extraordinaire matière poétique chez sade | Lien permanent | Commentaires (0)
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