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mardi, 18 juillet 2023

Sublime : Le diapason des cœurs

Zone critique, Sylvain Métafiot, Sublime,Le diapason des cœurs,

 

Pour son premier long-métrage, le réalisateur argentin Mariano Basin filme un basculement sentimental à l’âge où les repères s’étiolent et le cœur s’emballe : celui de Manuel, 16 ans, irrépressiblement attiré par son meilleur ami, Felipe. Une chronique juvénile délicate au rythme plus pop que rock.

 

C’est une scène qui fait sens, comme on dit : Manu et Felipe, guitare sous le bras, improvisent les paroles d’une nouvelle chanson pour leur groupe de rock. Puis Manu se met à chanter, repris en chœur par son ami : « Je t’attendrai sur la plage / Je ne sais pas si tu me trouveras. » Les premiers vers qu’il composent ensemble symbolisent l’enjeu dramatique du film de Mariano Basin : l’attente de l’autre. Manu aura-t-il le courage d’avouer ses sentiments à son meilleur ami au risque de le perdre ? Ou préfèrera-t-il attendre que Felipe se révèle à lui quitte à ce que cet instant n’advienne jamais ? Attendre « qu’il vienne donner un sens à tout ça », pour reprendre les paroles de la chanson.

 

La caméra suit ainsi Manu dans cette période déroutante de sa vie, des répétitions avec son groupe de rock, au foyer familial qui menace d’imploser, en passant par les cours au lycée et son flirt avec Azul, une camarade de classe avec qui il force l’embrassade. Une romance artificielle dans l’attente de son vrai désir, prenant le temps d’appréhender ses nouveaux sentiments qui l’assaillent, tout en se persuadant d’être normal. L’amitié est peut-être un amour plus fort que l’amour lui-même, mais Manu est terrifié à l’idée de détruire le lien qui l’unit à Felipe. Le réalisateur ne s’apitoie pas pour autant sur la détresse qui saisit son personnage principal et laisse planer une atmosphère mélancolique teintée d’un humour potache propre à ces jeunes garçons un peu maladroits.


Bien que la complicité et la confiance des deux garçons semblent d’une force à toute épreuve (l’introduction montre une amitié forgée dès leur plus jeune âge), un lent mais progressif délitement s’insinue entre eux à mesure que Felipe s’aventure dans les bras de Iara, une copine de classe aguicheuse, puis de Sol, la cousine de Fran le chanteur du groupe. Entre deux plaisanteries ou réflexion anodines (parfois trop appuyée comme cette évocation sexuelle de la posture du guitariste), Manu croit percevoir les signes d’une attirance réciproque mais Felipe ne cesse de lui échapper, relégué dans l’arrière-plan de ses désirs comme une présence obsédante mais inaccessible. Des visions d’étreintes entre les deux amis – filmées sous une couleur chaude et ouatée, contrastant avec un réel à la photo plus froide – viennent troubler le sens du récit avant que l’on comprenne qu’il s’agit des fantasmes de Manu qui compense ainsi sa frustration affective.

 

Mystery of love

 

Depuis L’Effrontée (1985) de Claude Miller et Contes d’été (1996) d’Eric Rohmer, on sait que la chaleur de l’été se marie bien au surgissement des premiers émois amoureux et des passions sensuelles. Dans la thématique de l’homosexualité contrariée, difficile de ne pas songer au récent Call Me by Your Name (2018) mettant en scène un amour impossible entre Timothée Chalamet et Armie Hammer sous le soleil de Toscane.

 

Si Sublime ne transmet pas les mêmes émotions déchirantes que le film de Luca Guadagnino, il partage avec lui une finesse d’écriture qui lui évite de sombrer dans certains clichés propres à ce genre de récit. On pense notamment à l’opposition un peu facile entre la pureté des sentiments de deux êtres figurés comme des marginaux et l’incompréhension, voire le rejet violent, de leur entourage incapable de saisir leur passion dévorante. Or, le film de Mariano Basin évite cet écueil en entourant Manu d’une galerie de personnages secondaires certes peu consistants (on ne sait rien des deux autres membres du groupe, ses parents apparaissent peu à l’écran, même Felipe manque de densité psychologique) mais d’une bienveillance exemplaire, presque (trop) idyllique. À l’image du discours terrassant de bonté de Michael Stuhlbarg dans le film de Guadagnino, le père de Manu ne trouve rien à redire lorsque celui-ci se confie sur le fait d’ « éprouver ces conneries ». Sa petite sœur pose quant à elle une main réconfortante sur son épaule. Même son ex-copine, Azul, lui prête une oreille attentive et lui redonne le sourire en l’introduisant dans le groupe de son frère batteur. Car la musique demeure une source de joie profonde pour Manu, le portant de l’avant, le consolant du réel, le guidant même de façon inconsciente dans ses décisions les plus graves. Le réalisateur (lui-même musicien) a l’intelligence de ne pas filmer les séquences de répétitions comme de simples illustrations d’un cliché adolescent mais telles des petites bulles de bonheur fugaces dans lesquelles Manu prend un plaisir sincère à jouer de la basse.

 

Bien qu’il n’irradie pas d’une beauté et d’une sensualité éclatantes (une certaine pudeur est de mise dans les enlacements), et malgré quelques scènes prévisibles (le concert à la fête d’anniversaire), le film réussit somme toute à transmettre de tendres émotions avec peu d’effet, notamment dans les jeux de regard. Alors que le récit s’achemine tranquillement sur une conclusion sans éclat, un dernier plan que l’on n’attendait plus vient projeter une douce lumière d’espoir sur le destin des deux amis, les laissant – désormais dissimulés à notre regard – rieurs et les pieds au bord de l’eau, prolonger un été qui ne veut pas mourir.

 

Sylvain Métafiot

 

Article initialement publié sur Zone Critique

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