mercredi, 11 février 2015
L'invention de Morel ou la projection hallucinée
Quel est ce parfum qui flotte autour du narrateur et l'obsède ? Celui, moite et âpre, de la flore de l'étrange île sur laquelle il s'est réfugié ? Celui de Faustine, ce fantôme charnel qui l'ignore superbement ? Ou bien celui de la folie, cette vapeur empoisonnée qui s'insinue dans son cerveau brûlé par le soleil ?
Le narrateur est pourtant rationnel, son journal en atteste. Mais si la science dépassait le cadre de la réalité, la folie qui en découlerait ne serait-elle pas la norme ? Les machines n'ont pas d'odeur et pourtant l'invention de Morel sent le souffre : diabolique, transgressive, parfaite. Au bout du conte, la question n'est pas de savoir si la frontière entre le réel et l'halluciné a été franchie mais s'il existe encore une frontière.
Le narrateur a fuit la prison des hommes mais se retrouve enfermé dans l'ombre d'un seul, le sien, condamné à revivre éternellement la plus pure des illusions. L'image est immortelle.
Sylvain Métafiot
19:11 Publié dans Littérature | Tags : l'invention de morel, projection hallucinée, littérature, sylvain métafiot, litterarium, gazettarium, adolfo bioy casares, folie, image, parfum, île, machine, frontière, illusions | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 12 juin 2013
Secte & cinéma : les illuminés des salles obscures
Article initialement paru sur RAGEMAG
La sortie de The Master en DVD a réveillé en nous le désir de léviter en pyjamas roses, couronnés de fleurs, purifiés par les larmes cristallines de notre rédacteur gourou en chef lors d'une cérémonie chamanique où nous répéterions en boucle des "Hare Krishna" en agitant des clochettes. Toi aussi tu veux baiser le cul du démon avant de lui offrir ta femme, ta fille et ta mère ? Choisis la Voie du Grand Ecran et rejoins les élus.
Chômage en hausse, violences scolaires, corruption politique, déforestation sauvage, guerre au Mali, attentats terroristes, conflit au Haut-Karabagh, meurtres d’enfants, augmentation du SIDA, nouvel album de Zaz, etc. Notre monde va mal, difficile de le nier.
Il n’est guère étonnant de voir les sectes en tous genres prospérer sur cette société anxiogène en proposant de soigner de la maladie de vivre. Privé de repères, souffrant de solitude, subissant la pauvreté ou la violence sociale, l’individu égaré est la cible favorite des gourous pervers qui offrent une grille de lecture simplifiée du monde. Le dogmatisme sectaire ne pouvait qu’intéresser le cinéma : le cloisonnement dans une contre-culture autarcique et la négation de la complexité du monde constituent des thèmes riches pour un art ancré dans la réalité, aussi inconfortable soit-elle.
Manipulation mégalomaniaque
Toute secte est liée à un gourou (ou presque : Landmark Education, par exemple). L’illuminé en chef sait comment appâter les faibles d’esprits. Patrick, le gourou de Martha Marcy May Marlene, a tout du hippie à la cool, travailleur des champs et chanteur folk, il séduit et embobine facilement les jeunes gens ayant fui leurs parents et leur condition sociale à la recherche d’une famille de substitution.
La communauté du film fait directement écho à « La Famille », la secte de Charles Manson fondée dans les années 1960 : l’organisation incarne la mère qui réconforte tandis que le gourou représente le père, c’est-à-dire la loi et l’autorité. Foncièrement pervers, le gourou fait de l’adepte un moyen dans le but de renforcer son système totalitaire. L’emprise sur le groupe passe par des rapports de dépendance et de sujétion. Patrick ou Lancaster Dodd procèdent de la même manière : ils désarment leurs victimes, les tiennent par la culpabilité, les caressent et les torturent sans raison. Repérant avec talent les failles et les faiblesses psychologiques de leurs victimes, ils exploitent jusqu’à l’os leurs blessures intimes, leur malaise et leur manque de liens affectifs pour en faire leur jouet manipulable à merci.
Un jouet sexuel notamment. Le gourou a un appétit sexuel à satisfaire, voyez-vous, et le génie de ces braves hommes est de convaincre que le viol est un idéal. C’est qu’ils doivent prendre des forces pour développer leurs pouvoirs extraordinaires faisant passer Chuck Norris pour un tétraplégique autiste : Shoko Asahara passait à travers les murs et méditait six heures sous l’eau, Sri Chinmoy a peint 100 000 tableaux, écrit 750 livres, rédigé 17 000 poèmes et faisait léviter des éléphants, Moon a rencontré Jésus et Ron Hubbard s’est rendu deux fois au paradis.
22:42 Publié dans Cinéma | Tags : ben wheatley, charles manson, chromosome 3, cinema, david cronenberg, david lynch, délire, eyes wide shut, folie, horreur, illuminé, indiana jones et le temple maudit, john carpenter, kill list, le locataire, manipulation, méditation transcendentale, paranoïa, prince des ténèbres, répulsion, robin hardy, roman polanski, ron hubbard, rosemary's baby, salles obscures, scientologie, secte, south park, stanley kubrick, steven spielberg, sylvain métafiot, terreur, the brood, the master, the wicker man, touristes, ragemag | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 07 février 2012
The perfect storm
" Mère, nous arrivons d'un pays sans amour / D'un pays où Dieu est absent. / Déluge en tête et crépuscule dans le sang.
La terre obscure est une planète aveugle / Malheur à elle qui s'étend si noire / sous les pieds et sous les maisons.
Elle ouvrira ses yeux ses lèves aux clameurs / Malheur à moi depuis la Genèse jusqu'à ce jour / Et le ciel est mauvais / Si lourd de nuées si mauvais / à la lèvre d'un arbre il n'offre point le lait / de sa poitrine nuageuse."
Uri-Zvi Grinberg, Le Monde sur la pente
Non, la récolte n’est pas si mauvaise en ce moment. En faisant son jardin dans les salles obscures on peut tomber sur un trésor enfouit entre deux navets. Ainsi, nous aurions pu parler de J. Edgar, de Clint Eastwood, qui, après le fadasse Invictus, nous offre un nouveau chef d’œuvre, baigné de lumière froide, retraçant la majeure partie de l’histoire politique des Etats-Unis à travers la figure hideuse, mais néanmoins touchante, du patron du FBI (de par son incroyable prestation Di Caprio fait incontestablement parti des plus grands, oh oui !). Mais c’est Take Shelter qui est au menu et le ragout est plus qu’alléchant.
Le pitch de départ est simple comme bonjour : Curtis LaForche (épatant Michael Shannon, déjà parano extrême dans l’excellent Bug de William Friedkin) est un ouvrier de l’Ohio, fraichement marié, qui vit paisiblement avec sa femme Samantha (Jessica Chastain, la grâce incarnée dans The Tree of Life) et leur fille Hannah (Tova Stewart), sourde et muette. Mais cette tranquillité va être rompue par les violents cauchemars de Curtis qui finissent par l’obséder jour et nuit, au point de renforcer son abri anti-tempêtes.
02:35 Publié dans Cinéma | Tags : take shelter, the perfect storm, jeff nichols, michael shannon, chef d'oeuvre, paranoïa, fin du monde, cauchemars, visions, tempête, thriller, folie, sylvain métafiot | Lien permanent | Commentaires (3)
mercredi, 13 juillet 2011
Du sang et des larmes
C’est le programme proposé par Kim Jee-Woon dans son dernier film J’ai rencontré le diable (I saw the devil), véritable musée des tortures sur grand écran qui ne laisse pas indemne le spectateur. Il faut dire qu’à la suite de l’assassinat de sa petite amie Ju-yeon, Soo-hyun ne vas pas ménager son meurtrier, le psychopathe Kyung-Chul. C’est une vengeance puissance mille qui est à l’œuvre et le résultat n’est pas beau à voir. Nul doute que Kim Jee-Woon fait partie, avec Hong-Jin Na (The Chaser), Bong Joon-Ho (Memories of Murder) et Chan-Wook Park (Old Boy), des meilleurs réalisateurs sud-coréens du moment. On le savait déjà depuis le flamboyant A bittersweet life et malgré le décevant Le bon, la brute et le cinglé, mais rien ne vaut une bonne piqure de rappel avec cette tragédie barbare à la mise en scène virtuose.
00:34 Publié dans Cinéma | Tags : du sang et des larmes, j'ai rencontré le diable, i saw the devil, ultraviolence, tortures, sadique, vengeance, vigilante, folie, chasse, kim jee-woon, corée du sud, lee byung-hun, choi min-sik, chan-wook park, sylvain métafiot | Lien permanent | Commentaires (1)
lundi, 14 février 2011
Némésis de l’âme
En 1876, Tchaïkovski ne se serait certainement pas douté que son ballet Le Lac des cygnes deviendrait le plus connu de par le monde, joué des milliers de fois dans les plus grands opéras et adapté au cinéma avec force et maestria. Ainsi, Black Swan de Darren Aronofsky, nous entraîne dans l’envers du décor du New York City Ballet, à la recherche de Nina Sayers (époustouflante Natalie Portman), avant qu’elle ne se perde. Ce joli petit canard d’une troupe où la concurrence est rude, aussi appliquée qu’introvertie, épousera un destin aussi glorieux qu’expéditif, dans une atmosphère baroque matinée de fantastique. Plongée au cœur d’un conte de fée qui vire au cauchemar. (Et qui dévoile, en partie, l’intrigue…)
00:49 Publié dans Cinéma | Tags : némésis de l’âme, sylvain métafiot, black swan, darren aronofsky, natalie portman, folie, sublime, démence, conte de fée, nina sayers, cauchemar, danse macabre, vincent cassel, ballet, grotesque, perfection, hallucinations, épouvante, thriller psychologique, le lac des cygnes, fantastique | Lien permanent | Commentaires (3)