dimanche, 25 janvier 2015
Pasolini : le chant de l’abyme
Article initialement publié sur Le Comptoir
« Scandaliser est un droit. Être scandalisé est un plaisir. Et le refus d’être scandalisé est une attitude moraliste. » Devant le journaliste français qui l’interroge, Pier Paolo Pasolini ne mâche pas ses mots. Il ne l’a jamais fait. Il vient de terminer Salo ou les 120 journées de Sodome. Le lendemain, il sera mort. C’est ainsi que débute le beau film qu’Abel Ferrara a consacré à cet homme qui paya de sa vie son droit sacré au blasphème moderne.
Rassurons d’emblée ceux que les biopics convenus lassent ou exaspèrent : le film de Ferrara n’a pas l’ambition, ni la volonté, d’embrasser toute la vie du poète italien de façon linéaire. Son récit se concentre sur les derniers jours de sa vie, comme si ces ultimes instants recelaient en eux-mêmes toute sa puissance tragique et artistique.
Alternant les scènes de vie familiale avec les interviews politiques, Ferrara s’aventure également, à la manière des récits en cascade des Mille et une nuits, dans le champ de l’imaginaire en illustrant son roman inachevé Pétrole et les premières esquisses du film Porno-Teo-Kolossal racontant le voyage d’Epifanio et de son serviteur Nunzio à travers l’Italie à la recherche du Paradis, guidés par une comète divine. Enchâssant la fiction dans la réalité (et même la fiction dans la fiction), Ferrara trace une ligne de vie viscérale entre Pasolini et ses œuvres : « Pasolini n’était pas un esthète, mais un avant-gardiste non inscrit, affirme Hervé Joubert-Laurencin. Il n’a pas vécu sa vie comme un art mais l’art comme une vie, il n’était pas "décadentiste" mais "réaliste", il n’a pas "esthétisé la politique" mais "politisé l’art". »
15:30 Publié dans Cinéma, Politique | Tags : le comptoir, abel ferrara, assassinat, écrits corsaires, blasphème, cinéma, contre la télévision, fascisme, hédonisme, italie, lettres luthériennes, nous sommes tous en danger, pétrole, pd, pier paolo pasolini, porno-teo-kolossal, ragazzi di vita, rome, salo ou les 120 journées de sodome, scandale, sylvain métafiot | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 13 mai 2013
Cinéma : l’immortalité à travers les âges
Article initialement paru sur RAGEMAG
Devenir immortel, traverser les siècles sans conscience du temps, naître à l’âge des premiers hommes et contempler la destruction de la Terre, noyée sous le feu de la géante rouge dans cinq milliards d’années, transcender sa condition et fusionner avec le divin, qui n’en a jamais rêvé ? Succédant à la littérature et à la philosophie, le cinéma a su exploiter et retranscrire ce rêve fou de l’Homme défiant la mort. Un thème fantastique incontournable engageant l’obsession métaphysique suivante : la vie vaut-elle la peine de ne connaître aucune fin ?
« Que risques-tu ? Mourir ? Alors tu ne risques rien ». Les stoïciens ont toujours été de grands blagueurs. Comme si cette sentence ataraxique pouvait nous débarrasser de la peur muette de la mort. N’est pas performatif qui veut. « Aimer la vie et regarder la mort d’un regard tranquille », proclame Jaurès ? Plus facile à dire qu’à faire, mon cher Jean ! Car, qu’on le veuille ou non, personne n’accepte la mort. Tout le monde sait qu’il va mourir mais personne n’y croit. Tout un chacun n’est-il pas « un pauvre homme, comme tous les autres, qui est venu sur la Terre sans savoir pourquoi et qui refuse de croire qu’il va mourir », comme l’énonce tristement Faust dans La Beauté du Diable ? Peu sont ceux qui osent affronter la grande faucheuse en face, la majorité des individus craignant plus le décès de leurs proches que leur propre mort. Ainsi, malgré notre admiration pour le grand homme qu’était Jaurès nous ne pouvons que donner raison à La Rochefoucauld qui affirmait que « rien ne prouve davantage combien la mort est redoutable que la peine que les philosophes se donnent pour persuader qu’on doit la mépriser. » De lui également cette célèbre maxime : « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement. » Le contemporain chausse alors les lunettes postmodernes de l’hédonisme scientifique pour se protéger de l’incontrôlable tragédie qu’est la vie. Le vouloir-vivre ne saurait être indomptable. L’Homme a décidé de tromper la mort et va tout mettre en œuvre pour y parvenir, quitte à boire la tasse d’une soupe homogène et indifférente. Sans saveurs.
Pour oublier la mort, qui nous ronge inconsciemment, nous pouvons soit vivre intensément le présent, à l’infini, abolir le temps, aller vers l’anéantissement total et le nirvana des bouddhistes ; soit se lancer dans le travail sans fin, l’accumulation absurde d’argent et la frénésie consumériste. Succès incontestable et effets garantis de la méthode capitaliste tant l’abrutissement par le travail, le divertissement et la consommation sont d’une puissance incomparable. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir pu s’élever spirituellement aux côtés de Bouddha en personne, comme John Oldman, et nombreux sont ceux qui se retrouvent complètement dépourvus lorsque leur dernière heure est arrivée.
15:50 Publié dans Cinéma | Tags : ai, âme, amor fati, andrew nicol, annie le brun, antonin artaud, appel d'air, borgès, darren aronofsky, divin, dorian gray, espérance de vie, éternel retour, fantastique, faust, fontaine de jouvence, gérard philipe, hédonisme, highlander, immortalité, indiana jones, intelligence artificielle, jaurès, john boorman, john oldman, l'homme bicentenaire, la beauté du diable, la rochefoucauld, lucrèce, lyrisme, maladie, matérialisme, michel simon, mort, murnau, nosferatu, oscar wilde, pale rider, posthumanisme, postmoderne, rené clair, richard schenkman, saint graal, science fiction, sokurov, surhomme, sylvain métafiot, the fountain, the man from earth, time out | Lien permanent | Commentaires (0)