jeudi, 11 décembre 2014
Debord cinéaste : la haine de l'image
Article initialement publié sur Le Comptoir
« Le monde est déjà filmé. Il s’agit maintenant de le transformer », affirme Guy Debord, en bon marxiste hétérodoxe, dans son film « La société du spectacle ». Anti-cinéma (à ses yeux un « spectacle dégradé »), considérant le spectateur comme un « homme méprisable », il réalisa pourtant six films. Comment ce génie insupportable et paradoxal a-t-il résolu, voire dépassé, cette contradiction fondamentale ? Essayons d’y voir plus clair derrière les apparences.
À l’instar des surréalistes, les situationnistes admiraient les poètes des ténèbres que sont Lautréamont, Lacenaire, Arthur Cravan, Sade… Et c’est en hommage au divin marquis que Debord réalisa son premier film, en 1952 : Hurlements en faveur de Sade, même si « on ne parle pas de Sade dans ce film ». Dans la préface au scénario d’une première version du film, il écrivait : « L’amour n’est valable que dans une période prérévolutionnaire. J’ai fait ce film pendant qu’il était encore temps d’en parler. Il s’agissait de s’élever avec le plus de violence possible contre un ordre éthique qui sera plus tard dépassé. […] Les arts futurs seront des bouleversements de situations, ou rien. » (Prolégomènes à tout cinéma futur). Alternance d’écrans blancs et noirs, le film témoigne d’un dégoût profond pour l’image, refusant radicalement toute représentation. Au flot de paroles décousues et volontairement inexpressives du blanc — mélange d’aphorismes philosophiques, de dialogues poétiques et d’articles du Code civil — résonne le silence assourdissant du noir. C’est son premier usage des phrases détournées. Mais bien qu’ayant proclamé que « le cinéma est mort », il va continuer à arpenter le paysage cinématographique en faisant évoluer sa pratique du détournement.
Pour Debord, le dadaïsme et le surréalisme furent stoppés dans leur élan car n’engageant leur projet révolutionnaire que d’un seul côté : « Le dadaïsme a voulu supprimer l’art sans le réaliser ; et le surréalisme a voulu réaliser l’art sans le supprimer. La position critique élaborée depuis par les situationnistes a montré que la suppression et la réalisation de l’art sont les aspects inséparables d’un même dépassement de l’art. » (La société du spectacle) C’est dans ce processus de bouleversement et de dépassement qu’intervient le détournement cinématographique.
21:26 Publié dans Cinéma | Tags : debord cinéaste, cinéma, haine de l'image, situationnisme, sylvain métafiot, le comptoir, détournement, maxisme, surréalisme, gone girl, in girum imus nocte et consumimur igni, la société du spectacle, hurlements en faveur de sade, critique radicale, renversement, retournement, hollywood, canal +, message à caractère informatif, la dialectique peut-elle casser des briques, rené viénet, john ford, nicolas ray, raoul walsh, joseph von sternberg, sam wood, orson welles, david fincher | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 08 novembre 2011
Le silence est d’or
Disons-le d’entrée de jeu, ce mois d’octobre fut certainement l’un des plus riches en termes de productions cinématographiques très contrastées. Que l’on songe au ténébreux Drive de Nicolas Winding Refn (louangé d’un côté, ridiculisé d’un autre), film noir conceptuel, extrêmement stylisé et ultra-violent, qui, sur fond d’électro des années 80 amorce (laborieusement) une réflexion sur les faux-semblants de la cité postmoderne. Ou bien Polisse de Maïwenn (encensé ici, pulvérisé là), qui nous plonge au cœur d’une brigade de la protection des mineurs en dévoilant le quotidien brutal, épuisant, et parfois drôle de ses membres (servi par des acteurs exceptionnels), tout en insistant (lourdement) sur leur humanité à travers des procédés de mise en scène parfois démagogique.
Mais c’est de The Artist que nous allons converser en détails.
01:17 Publié dans Cinéma | Tags : le silence est d’or, the artist, muet, noir et blanc, jean dujardin, michel hazanavicius, bérénice bejo, mutisme, hollywood, années 30, sylvain métafiot | Lien permanent | Commentaires (3)