mardi, 28 juin 2016
Thomas Bouchet : « L’amour charnel, la bonne chère et la fête sont des enjeux sociaux »
Article initialement publié sur Le Comptoir
Maître de conférences en histoire du XIXe siècle à l’université de Bourgogne, Thomas Bouchet explore dans « Les Fruits Défendus », le rapport du socialisme à la sensualité sur les deux derniers siècles, de Charles Fourier à Daniel Guérin, en passant par Claire Démar, Prosper Enfantin, ou l’inventeur du mot “libertaire”, Joseph Déjacque. Il dresse ainsi une cartographie générale et contrastée de cette constellation sensualiste (extrêmement minoritaire au sein de l’univers socialiste) prônant une émancipation totale qui redonnerait toute sa place aux passions charnelles.
Le Comptoir : La volonté d’émancipation qui caractérise le socialisme se manifeste avant tout dans la sphère sociale. Or, le plaisir et la sensualité renvoient avant tout à la sphère individuelle. Comment le socialisme sensuel arrive t-il à concilier cette opposition sans sombrer dans la dictature des mœurs ?
Thomas Bouchet : Ceux qui font le pari d’un socialisme sensuel voient l’expression de l’émancipation des corps dans la vie sociale. Cela ne s’arrête pas, pour eux, à la porte d’entrée du logement qu’ils occupent. Ils estiment que la libération des esprits et des corps n’est pas simplement économique, sociale, politique ou culturelle : elle est aussi charnelle. En ce sens, lorsqu’ils dénoncent l’oppression qui abat les corps à l’usine, à l’atelier ou dans les champs, certains d’entre eux disent qu’il faut aller plus loin et se demander ce que ce corps libéré de l’oppression peut devenir dans une société autre (puisque les socialistes ont tout de même le projet, surtout au XIXe et XXe siècles, d’esquisser les contours d’une société qui fonctionne différemment). Dans ce cas, sur les terrains que j’ai étudié – l’amour charnel, la bonne chère et la fête – il y a un enjeu social et pas simplement individuel. Ces sensualités-là sont théorisées, revendiquées, mises en pratique éventuellement, mais dans une optique qui est au-delà de l’interaction et de la vie intime des individus.
15:41 Publié dans Littérature, Politique | Tags : le comptoir, sylvain métafiot, interview thomas bouchet, l’amour charnel, la bonne chère et la fête sont des enjeux sociaux, socialisme sensuel, charles fourier, daniel guérin, claire démar, prosper enfantin, libertaire, joseph déjacque, communisme puritain, émancipation du corps, dictature des moeurs, le nouveau monde amoureux, saint-simon, sade, marx, socialisme utopique, socialisme scientifique, d’holbach, condillac, diderot, helvétius, rabelais, la femme libre, journal la voix des femmes, léon blum, proudhon, paul lafargue, sorel, guesde, mai 68, hédonisme petit-bourgeois, homo-festivus, philippe muray, À bas les chefs, les fruits défendus, ernest cœurderoy, l’humanisphère, max nettlau, pierre leroux, patrick samzun, érotisme | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 14 avril 2016
L’archipel des fictions utopiques
Article initialement publié sur Le Comptoir
De la Renaissance au XXe siècle, l’évolution de la pensée politique a déplacé le sens originel du mot “utopie” – qui désignait le titre d’une œuvre littéraire – jusqu’au sens actuel où le terme est plus ou moins confondu avec celui d’idéal et/ou de société totalitaire. L’utopie est pourtant un genre bien spécifique, qui ne se confond pas avec les autres formes de productions imaginaires auquel il est souvent assimilé. Voyageons au sein de ces insularités fictionnelles.
Ayant souvent été considérée comme un programme politique (ce qui est vrai chez certains socialistes utopistes du XIXesiècle, comme Étienne Cabet ou Charles Fourier), l’utopie demeure essentiellement une construction fictionnelle formant un réticule d’enchevêtrement imaginaire : eunomies, uchronies, contre-utopies, etc.
Dans D’Utopie et d’Utopistes le philologue Raymond Trousson définit l’utopie comme l’un des modes d’expression de l’imaginaire social en tant que « genre littéraire narratif et descriptif qui peut s’étudier dans ses invariants, dans ses constantes à la fois thématiques et formelles », à différencier de l’« utopisme comme imaginaire social au sens large ». Mais la fiction n’exclut pas la politique car l’utopie narrative est certes un « texte littéraire empruntant la forme du roman, mais avant tout pourvu d’un contenu idéologique ». L’utopie n’est ni un rêve ni une chimère. Elle ne se donne pas sur le mode de l’imaginaire complet : bien que fictive, elle est envisagée comme quelque chose de réalisable, prenant en compte les possibilités infinies de l’intrication entre la nature et la raison humaine. En somme, l’utopie s’inscrit dans le champ du possible et non du virtuel.
15:35 Publié dans Littérature, Politique | Tags : eunomies, uchronies, contre-utopies, raymond trousson, l’archipel des fictions utopiques, le comptoir, sylvain métafiot, utopia, thomas more, eutopia, sources, erasme, humanisme, virtuel, michèle madonna-desbazeille, dictionnaire des utopies, platon, hésiode, les travaux et les jours, la république, pays de cocagne, genèse, nouvelle atlantide, francis bacon, fourier, marx, saint-simon, robert owen, l’an 2440 ou rêve s’il en fut jamais, louis sébastien mercier, l’an 330 de la république, maurice spronck, une utopie moderne, herbert george wells | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 10 mai 2012
André Gorz : l’autonomie individuelle contre le capitalisme
Alors que le dernier réacteur nucléaire japonais vient de fermer, et que la France s’obstine à considérer « l’atome » comme la seule voie énergétique possible (et ce, malgré la victoire des socialistes à la présidentielle), il semble urgent de revenir aux fondements de la pensée écologique et notamment à l’un des pionniers de l’écologie politique des années 70 en France : André Gorz (1923-2007).
00:28 Publié dans Actualité | Tags : andré gorz, capitalisme, autonomie individuelle, écologie politique, idéologie sociale de la bagnole, japon, marx, misère, nucléaire, pauvreté, utopie socialiste, sylvain métafiot | Lien permanent | Commentaires (2)
samedi, 03 juillet 2010
Les petites phrases des philosophes
Qui n’a jamais essayé de briller en société, que ce soit lors d’un diner, dans un débat, entre amis ou en famille, en citant tel ou tel grand penseur des siècles passés ? Mais avant de citer Pascal, Camus ou Platon, mieux vaut savoir de quoi l’on parle. Ce qui est rarement le cas… Petit panorama des erreurs d’interprétation, contradictions, contre-sens et autre fourvoiements de la pensée de philosophes, dans lesquels la majorité d’entre nous se vautrent, sans parfois sans rendre compte…
« Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien » Socrate
Le père des philosophes avouant son ignorance ? En quelque sorte… Avec ironie, il affirme que celui qui dit savoir ignore tandis que celui qui dit ignorer sait, car le premier ne sait même pas qu’il ignore tandis que le second sait au moins cela. Un beau paradoxe et une belle leçon d’humilité.
22:49 Publié dans Littérature | Tags : petites phrases des philosophes, philosophie, socrate, foucault, nietzsche, descartes, barthes, mandeville, hobbes, marx, sartre, platon, sylvain métafiot, camus | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 11 mars 2009
L’inquiétant retour du religieux
Les penseurs des lumières avaient parié sur la fin des religions et le triomphe progressif de la raison… Malheureusement, ils seraient bien étonnés s’ils assistaient à l’actuel « retour du religieux » sous des formes multiples, allant de la mode des spiritualités, de l’explosion des conversions à l’islam et au protestantisme à travers le monde, des offensives de Benoit XVI pour la promotion d’une rationalité chrétienne, de celle de Nicolas Sarkozy pour une « laïcité positive », à la violence nettement plus inquiétante des fanatismes.
Souvenons-nous de ce que nous annonçaient des personnages aussi illustres que Voltaire (1694-1778), Diderot et Condorcet. Que le règne de la Raison et de la Liberté, de la Science et du Progrès allait mettre fin à l’alliance des Eglises et du despotisme. Que « l’humanité qui sait » allait se substituer à « l’humanité qui croit », comme le disait Renan dans l’Avenir de la science. Et que la conquête scientifique et technique du monde allait contribuer à l’autonomie et au bonheur d’un homme nouveau. Au siècle suivant, ce ne sera plus seulement la superstition, mais la religion elle-même que Nietzsche, Marx et Freud s’attacheront à déconstruire, en dénonçant derrière les idéologies religieuses une névrose collective, l’opium d’un monde sans cœur ou une haine de la vie, en passe d’être surmontés. Tous concluaient leur procès de la religion par la sentence de la « mort de Dieu ». Préalable au processus de sécularisation.
22:35 Publié dans Actualité | Tags : religion, retour de la religion, christianisme, catolicisime, judaisme, islam, intégrisme religieux, sylvain métafiot, sade, voltaire, richard dawkins, peter sloterdijk, la folie de dieu, lucrèce, philosophes, nicolas sarkozy, dimitri medvedev, georges bush, michael martin, max weber, freud, nietzsche, benoit 16, condorcet, marx, critique, athée | Lien permanent | Commentaires (2)