jeudi, 12 décembre 2013
Gravity : la grâce de l'apesanteur
Article initialement paru sur RAGEMAG
L’angoisse du vide a happé nombre de spectateurs déplorant avec rage que Gravity, le dernier film d’Alfonso Cuaron, ne sorte pas en IMAX à cause d’une embrouille avec Jean-Pierre Jeunet. Priver un tel spectacle des meilleures conditions de visionnage semble être un affront à l’impressionnant déluge visuel du film… Laissons donc à d’autres le soin de clore le débat et intéressons-nous plutôt à l’union intersidérale de la science-fiction et de la métaphysique au cinéma.
À défaut d’enfoncer une nouvelle fois la même porte ouverte, rappelons que l’IMAX ne remplace pas un scénario. D’autant plus quand celui-ci n’accorde aucune place réflexive à la technique alors que le réalisateur se gargarise de sa prodigieuse utilisation dans la création de son œuvre. Drôle de paradoxe où la densité technique de production éclipse toute analyse intrinsèque de cette même technique au sein du film.
Pour accéder à cette dimension spéculative, il convient de basculer dans le genre de la science-fiction, ce jeu d’extrapolation qui, selon l’écrivain Gérard Klein : « décrit de manière réaliste ce qui n’existe pas. » Il convient néanmoins de distinguer deux grandes orientations : celle de la SF classique techno-scientifique, à travers les thèmes des voyages dans le temps et dans l’espace, ayant un rapport idéaliste et métaphysique à la philosophie, et interrogeant le devenir de l’humanité (destruction totale ou accession à la divinité) ; et celle de la SF dite d’anticipation, émergeant dans les années 1960, projetant la société dans des futurs souvent cauchemardesques, étant en cela proche des utopies et des contre-utopies techno-scientifiques.
Vers le cosmos et retour
Les films de science-fiction sont des explorateurs spéculatifs de l’innovation mettant en scène des nouveautés techniques (téléportation, cryogénisation, trous de ver intergalactiques, voitures volantes, etc.) et les façons dont ces nouveautés vont transformer la façon de vivre, de percevoir. Ils ont aussi le mérite, contrairement aux sciences, d’exposer les problèmes, les risques et les possibilités d’imaginer au plus grand nombre.
Le Voyage dans la lune, de Georges Méliès (1902), s’il fut l’un premiers films de science-fiction synthétisant avec brio les meilleures techniques de production de l’époque (substitution par arrêt de prise de vues, surimpression, effets pyrotechniques, personnages maquillés, prise de vues subjectives) ne parvint cependant pas à développer une idée nouvelle, ce qu’Elie During nomme des conjonctures, dont l’effet propre est de « remettre en jeu des visions du monde, en testant la consistance des univers qu’elles produisent : non pas simplement des constructions « imaginaires », aussi profondes soient-elles, mais des procédures de variation destinées à révéler les présupposés latents de nos propres schémas de pensée, à mettre à l’épreuve la fermeté ou la cohérence de certaines doctrines, la nécessité ou la contingence de leurs catégories ou de leurs principes, pour autant qu’ils prétendent configurer un monde en général » (Matrix, machine philosophique, 2003).
En effet, à défaut de produire systématiquement un discours scientifique ou pseudo-scientifique, la science-fiction, genre très prisé sur nos terres occidentales, en reproduit la philosophie dominante, fondée sur une approche matérialiste et rationnelle du réel. Méliès insère des éléments fantastiques dans son film, lui conférant ainsi une dimension onirique rafraîchissante. Depuis, les voyages dans l’espace ont bien évolué.
17:25 Publié dans Cinéma | Tags : 2001, alfonso cuaron, armageddon, blade runner, cinema, crash, david cronenberg, deshumanisation, espace, georges méliès, gravity, hal, kant, la mouche, le voyage dans la lune, locke, métaphysique, moon, nietzsche, paradoxes temporels, pascal, roy batty, science fiction, sf, solaris, stanley kubrick, star trek, star wars, ragemag, technique | Lien permanent | Commentaires (0)