mercredi, 20 janvier 2021
Sébastien Bénédict : « Pour Miyazaki, le remède a toujours été dans le mal. »
Sébastien Bénédict est enseignant en lettres et critique de cinéma (Revue Carbone, anciennement Les Cahiers du cinéma, Chronic’art). Dans sa monographie consacrée au réalisateur Hayao Miyazaki (éditions Rouge Profond, 2018) il explore, « au gré du vent », cette multitude d’univers imaginaires qui, à la croisée de la science-fiction et du fantastique, de la fable écologique et de l’aventure épique, et portée par les forces élémentaires du rêve et de la métamorphose, agissent comme les révélateurs d’un Réel conflictuel et tragique mais toujours porteur d’espoir.
Le Comptoir : « Qu’il porte la guerre ou la caresse, [le vent] est de tous ses films, omniprésent et silencieux. » écrivez-vous dans les premières pages de votre ouvrage. Cette récurrence thématique chez Miyazaki semble accentuée par sa fascination pour les machines en tout genre et les avions en particulier qu’ils soient de conception réaliste ou rétro-futuriste. De quelle manière arrive-t-il à confronter ses idéaux pacifistes à la réalité d’une utilisation guerrière de la technologie ?
Sébastien Bénédict : Il n’y a rien d’apaisé dans les films de Miyazaki, rien de stable. Tout y est une guerre permanente, entre des forces qui en s’opposant, forment un « équilibre » vacillant sans cesse, mais qui malgré tout fait tenir le monde. C’est pourquoi au sens large, je ne parlerais pas de « pacifisme » ; si idéal il y a, c’est pour lui le maintien de cet équilibre, tout en sachant qu’il met de la lutte en tout. La technologie sera ainsi pour lui le lieu même de cette ambivalence, dès sa première œuvre conséquente, la série Conan, le fils du futur (1978) : une dystopie post-apocalyptique, où l’état le plus avancé de la technologie peut en même temps asservir et sauver le monde.
Miyazaki est né de la guerre, l’année de Pearl Harbor, sa famille y a participé. Et puis comme tous ceux de sa génération, il est directement né d’Hiroshima, soit la première manifestation concrète d’une idée, jusqu’alors laissée à la théologie et aux peurs ancestrales, désormais incarnée dans le champ du réel : la fin du monde, pour la première fois, devient possible et non plus seulement redoutée. Et ce qui le permet, c’est précisément la technologie. On serait technophobe à moins, mais c’est elle, qui en aboutissant à cette capacité, redonne en définitive son prix au monde, le rend mortel en somme. Ce sera désormais un monde en guerre contre lui-même, soucieux de sa finitude. Pour Miyazaki, le remède a toujours été dans le mal. Même au risque de la guerre, faut-il renoncer au rêve de voler ? C’était le sujet du Vent se lève (2013).
12:07 Publié dans Cinéma | Tags : muska, kushana, dame eboshi, princesse mononoké, le vent se lève, le roi et l'oiseau, sylvain métafiot, porco rosso, le voyage de chihiro, conan, nausicaa, editions rouge profond, au gré du vent, le comptoir, sébastien bénédict : « pour miyazaki, le remède a toujours été dans le mal | Lien permanent | Commentaires (2)