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lundi, 11 mai 2009

« Il n'est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde entier à l'égratignure de mon doigt »

Cette phrase est celle du philosophe David Hume. Elle est décryptée par François Lamoureux (Philosophie Magazine n°7) : « Pour le penseur écossais, la raison n'a aucun pouvoir sur nos passions, notamment sur l'égoïsme. Au risque de nous mener au chaos.

 

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« Enfin un philosophe ­sincère », murmureront certains. Il fallait de la jeunesse et un peu de folie pour oser faire une telle déclaration d'amour à l'égoïsme. Du haut de ses 26 ans, en plein siècle des Lumières, l'Écossais David Hume n'a pas hésité. Est-ce par goût du paradoxe qu'il fait mine, dans son Traité de la nature humaine, de cautionner un individualisme porté à l'extrême, qu'il prétend préférer la destruction universelle à un léger ­désagrément ? Ou bien ­exprime-t-il cyniquement le sentiment de celui qui cherche en lui-même une raison d'agir vertueusement... et n'en trouve ­finalement aucune ? Quel soulagement alors de voir rompue la longue chaîne des philosophes sévères et ­moralisateurs !

Si la raison elle-même nous engage à faire primer notre plaisir sur tout autre motif, nulle autre instance, a fortiori, ne saurait désormais nous reprocher d'agir au mépris de la morale. Vice et vertu n'ont plus à être distingués, et nous sommes libérés des pesanteurs du devoir. Le philosophe semble même aller plus loin : « La raison, affirme-t-il dans la suite de l'ouvrage, est et ne doit qu'être ­l'esclave des passions. » David Hume annoncerait l'anti-humanisme d'un ­Dostoïevski : « Que s'écroule l'univers pourvu que je boive toujours mon thé », affirmait le narrateur des ­Carnets du sous-sol.

 

En réalité, même si Hume ­exprimera tout au long de sa vie les opinions les plus provocantes sur la religion, le suicide, l'identité personnelle ou les principes de la connaissance, au point de réveiller Kant de son sommeil dogmatique, cette formule ressortit davantage au constat qu'à l'incitation pousse-au-crime. Ouf ! Reste qu'elle ne perd rien de sa radicalité. Depuis ses origines, la philosophie confie à la raison la mission d'édicter les valeurs morales et de les faire respecter contre nos passions égoïstes. On suppose donc que la raison puisse influer sur nos passions. Or c'est précisément ce que conteste Hume. La raison n'est pas égoïste, elle n'a tout simplement aucun pouvoir sur la morale. Elle doit comprendre qu'elle est totalement impuissante à diriger ou même à régler notre conduite et nos passions. Son domaine d'intervention est le vrai et le faux, pas le bien et le mal. Le problème est d'imaginer une vie en communauté possible si chacun suit librement ses passions. Ce serait oublier que, si la raison ne peut s'opposer aux passions, une autre passion le peut. Pour nous qui sommes caractérisés à l'origine par l'amour de soi et une « générosité limitée » à nos proches, le rôle de l'art politique est de faire servir nos passions à la communauté. On peut donc envisager une vie à peu près harmonieuse avec ses semblables sans intervention directe de la raison sur les passions.

 

Certains scientifiques contemporains semblent avancer dans le sillage de Hume. Dans Le Gène ­égoïste, le sociobiologiste Richard Dawkins suggère que les gènes utilisent les individus dans le cadre d'une lutte pour la reproduction et la sélection naturelle. Les comportements égoïstes, que le philosophe écossais considérait comme irréductibles dans la nature humaine, se retrouveraient aussi au niveau cellulaire ! Il ne serait pas contraire à la rationalité naturelle de préférer la destruction du génome humain à l'égratignure d'un de mes acides aminés. Décidément, Hume demeure un penseur dangereux. »

 

A Noter que vous pouvez retrouver David Hume sur France Culture en téléchargeant ou écoutant l'émission Les nouveaux chemins de la connaissance, présenté par Raphaël Enthoven : http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-culture/emissi...

 

Sylvain Métafiot