mardi, 24 décembre 2013
The Immigrant : comment James Gray ressuscite Shakespeare sur grand écran
Article initialement paru sur RAGEMAG
Faisons le pari : si William Shakespeare était né au XXe siècle, il aurait peut-être passé plus de temps derrière une caméra que devant une feuille blanche. Ce n’est sans doute pas James Gray, dont le dernier film, The Immigrant, sort aujourd’hui, qui dira le contraire. Car, davantage que les adaptations, réussies ou non, des pièces du maître sur grand écran, c’est à travers le genre du film noir que le récit shakespearien et ses images obsédantes se trouvent transcendés.
À travers cinq films, James Gray, en renouant avec les codes quelques peu perdus des films noirs classiques – notamment par l’exploration systématique de la cellule familiale et par sa grande rigueur formelle –, est parvenu à leur insuffler une intensité dramatique peu commune. De fait, réalisateur au carrefour du cinéma grand public et du cinéma d’art et d’essai, il a su renouveler, plus que tout autre ces dernières années, l’art du récit shakespearien sur grand écran.
1er acte : l’épure des mots
Une des grandes forces du récit shakespearien réside dans la propension des personnages à faire partager leurs sentiments profonds au lecteur, à travers des apartés ou des monologues. En connaissant intimement leurs peines, leurs joies et leurs manigances, nous avons ainsi un temps d’avance sur les autres protagonistes et nous entrevoyons les drames et les rires à venir, les trahisons et les déclarations sincères.
Au cinéma, un tel procédé se traduit en premier lieu par l’emploi de la voix-off. Mais cette technique peut parfois s’avérer pesante. Le propre du cinéma n’est-il pas de substituer à la narration textuelle celle des images ? Sans dire un mot, le visage de Michael Corleone, à la fin du Parrain II, de Francis Ford Coppola, exprime toute l’ampleur du drame qu’il a lui-même déclenché et qui le hantera pour le restant de ses jours. Chez James Gray, c’est une mise en scène d’une grande pudeur qui dévoile les sentiments les plus enfouis des personnages : par les silences, les regards, les gestes ou les respirations, leurs sentiments les plus enfouis éclosent à l’image, donnant lieu à des scènes d’une humanité vibrante. De fait, l’essence de l’écriture shakespearienne au cinéma tendrait davantage vers des films peu bavards, mais non moins intenses.
On ressent cette volonté chez Gray de ne pas souligner l’évidence, de ne pas en rajouter. Il y a une certaine retenue qui évite l’esbroufe et le vulgaire, et permet d’aller à l’essentiel. Dans son premier film, Little Odessa (1994), qui narre le retour d’un fils d’immigrés russes dans son quartier d’origine à New-York, cette retenue est caractérisée par les regards silencieux échangés par les deux frères : celui de Joshua Shapira, qui ouvre le film, et celui de Reuben qui découvre que son grand frère est un tueur. En un battement de cils, tout est dit.
En prenant du recul sur sa façon de filmer et en l’associant à une lenteur des déplacements, Gray construit certains plans comme des tableaux où s’expriment sans un mot les sentiments les plus violents. À l’image de la scène de deuil, dans The Yards (2000), où les principaux membres de la famille réunis dans le salon s’échangent seulement des regards et des mains tendues, dévoilant ainsi par des gestes impuissants toute leur rage et leur tristesse.
01:32 Publié dans Cinéma | Tags : amour, autorité, brighton beach, brooklyn, collateral, coppola, critique sociale, destin, deuil, drame, épure, famille, fatalité, fou, geste, heat, illusion, james gray, jean renoir, jugement, la nuit nous appartient, le parrain, little odessa, loi, maternel, mean streets, mélancolie, michael mann, milieu, mise en scène, morale, narration, new-york, noir, nuance, polar, police, pudeur, queens, raging bull, regard, rêve américain, sacrifices, scorsese, silence, sylvain métafiot, tempête, the immigrant, the yards, tragédie | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 05 octobre 2011
Des affaires de femmes
Une fois n’est pas coutume, c’est une double chronique ciné que nous vous proposons aujourd’hui. Rassurez-vous, nous n’allons pas parler des deux remakes de La Guerres des boutons (nous sommes des gens de goût sur mapausecafé) mais de deux magnifiques films qui, bien que différents, nous ont puissamment émus tant par le jeu des actrices que par leurs histoires bouleversantes : Et maintenant on va où ? de Nadine Labaki et L’Apollonide, souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello. Si les femmes constituent le cœur battant de ces deux longs métrages, le registre diffère entre la comédie et la tragédie, quand bien même les frontières sont parfois poreuses (la comédie a un arrière-fond tragique quand la tragédie recèle quelques moments de légerté).
19:19 Publié dans Cinéma | Tags : des affaires de femmes, et maintenant on va où ?, nadine labaki, l'apollonide, souvenirs de la maison close, liban, prostitution, bertrand bonello, tragédie, religion, surréalisme, intolérance, sylvain métafiot | Lien permanent | Commentaires (1)
samedi, 23 mai 2009
Antigone aux Célestins
Du mercredi 13 au samedi 23 mai 2009, le théâtre Lyonnais Les Célestins, accueillent un classique de la dramaturgie antique : Antigone de Sophocle (nouvelle traduction de Florence Dupont).
Sophocle, sans doute le plus grand tragédien athénien, obtient un succès à l'image de la grandeur de la cité. À 30 ans, il remporte un concours dramatique face à Eschylle et, dès lors, enchaîne les concours avec une régularité et un éclat jamais démentis. Avec cent vingt-trois tragédies dont seulement sept nous sont parvenues, tel Antigone et Œdipe Roi, Sophocle a donné sa forme définitive au genre tragique. Il poursuit l'œuvre d'Eschylle en faisant passer le nombre de comédiens de deux à trois et a développé la trilogie libre où chaque épisode est indépendant des autres. Si la vie de Sophocle est placée sous le signe de la lumière, il n'en va pas de même pour ses personnages, écrasés par leur destin et sombrant toujours plus dans l'obscurité, à l'instar de Œdipe, roi condamné par les dieux à la cécité.
04:24 Publié dans Actualité | Tags : antigone, célestins, sophocle, rené loyon, théâtre, tragédie, créon, oedipe, Étéocle, polynice, sylvain métafiot | Lien permanent | Commentaires (6)