samedi, 12 novembre 2016
Captain Fantastic : marin d'eau douce
Une comédie ? Une aventure initiatique ? Un conte social ? Captain Fantastic, le dernier film de Matt Ross, est un peu tout cela. Et pourquoi pas – prenons le titre au mot – un film de super-héros ? Plus précisément celui d'un homme brillant qui rompt avec la société en élevant ses (nombreux) enfants dans les bois, en-dehors de toute civilisation, afin de forger leur esprit et leur corps. Une famille de prodiges dont la mission principale consiste à « sauver » le corps de leur défunte mère afin de respecter ses dernières volontés.
Or, s'il est un personnage qui donne toute sa saveur au récit héroïque, tout en contrebalançant l'aspect souvent fade du super-héros, c'est bien celui du super vilain. Et notre fier Captain manque cruellement d'adversaire à sa taille. Qu'a t-il à affronter, lui et sa progéniture surdouée ? Un flic débonnaire un peu trop curieux, des beaux-parents chrétiens et protecteurs, une famille américaine « typiquement médiocre », soit un condensé de la middle class américaine engoncée dans ses stéréotypes. Le combat est inégal et le résultat vite anticipé. Car malgré les embûches scénaristiques que la petite troupe (fort sympathique au demeurant) affronte durant son voyage, le discours « provocateur » du film ne souffre aucune contradiction (c'est d'ailleurs le trait principal du long-métrage : ni la mise en scène, ni le montage ne le distingue) et ne s'adresse qu'à un public conquis d'avance.
On se plaît à imaginer ce qu'aurait répondu un chrétien du calibre de Chesterton, Teilhard de Chardin ou Gustave Thibon face aux moqueries faciles de la tribu rationaliste. Ou qu'un personnage bien écrit aurait expliqué la différence entre honnêteté et sincérité. Et croire que Noam Chomsky constitue le nec plus ultra de la subversion dans un monde où Théodore Kaczynski a écrit La Société industrielle et son avenir et Günther Anders L’Obsolescence de l'homme ne peut que faire lever les yeux au ciel.
Bref, ce n'est pas avec des poings en mousse qu'on se bat contre la civilisation industrielle.
Sylvain Métafiot
01:41 Publié dans Cinéma | Tags : matt ross, super héros, stéréotypes, captain fantastic, marin d'eau douce, sylvain métafiot, civilisation industrielle, théodore kaczynski, la société industrielle et son avenir, günther anders, l’obsolescence de l'homme, chesterton, teilhard de chardin, gustave thibon, discours subversif, noam chomsky, amérique, super vilain, poings en mousse | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 01 novembre 2016
L’Odyssée de Clarke ou le mythe de l’altérité cosmique
Article initialement publié sur Le Gazettarium
De Nietzsche à Parménide, de Baudelaire à Platon, le voyage a longtemps été un enjeu des philosophes mais également un thème littéraire traversant les âges. De L’Odyssée d’Homère à L’Odyssée de l’espace d’Arthur C. Clarke, la filiation est évidente. Qu’il s’agisse de voyager sur la mer pour rejoindre Ithaque ou dans un vaisseau spatial aux confins de l’univers, tout n’est qu’une question de départ et de retour. Clarke fait ainsi de multiples références à l’œuvre d’Homère : le prénom du héros (Bowman, « l’archer »), le cheval de Troie, les sirènes, la perte de membres de l’équipage, etc. Tout comme la navigation sur la mer Égée du temps des dieux grecs, les voyages dans l’espace sont soumis aux aléas dangereux de l’univers : explosions d’étoiles, destructions de planètes, nouvelles formes de vie dans de nouvelles galaxies… Des périls qui entraînent une nouvelle perception de la terre et du cosmos, car la nature est essentiellement fragile et peut disparaître à tout instant. Ajoutons à cela, la conscience de la toute puissance de la science et de la technologie. Clarke fait évoluer ses personnages en lien direct avec les techniques les plus avancées. L’évolution des protagonistes n’est plus seulement interne à eux-mêmes mais dépend, en partie, des transformations extérieures.
12:58 Publié dans Cinéma, Littérature | Tags : 2001, alexandre soljenitsyne, ange, arthur c. clark, bowman, hal, hans blumenberg, homère, immortalité, l’odyssée de clarke, maurice weyembergh, mémoire, monolithe, mythe de l'altérité cosmique, philosophie, religion, science-fiction, stanley kubrick, sylvain métafiot, temps | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 11 octobre 2016
Éditions Le Feu Sacré : « La poésie c’est la littérature populaire par excellence »
Article initialement publié sur Le Comptoir
C’est au cœur de l’été 2011 que la maison d’édition lyonnaise Le Feu Sacré vit le jour, bien décidée à tracer sa route en dehors du « ventripotent milieu de l’édition ». Atypique, la dizaine d’ouvrages publiée depuis semble confirmer ce pas de côté éditorial où de denses petits essais littéraires côtoient un feuilleton « pop et alchimique », des poèmes exhumés d’Ossang et une mémorable analyse de l’œuvre de Philip K. Dick. Nous nous sommes entretenus avec son fondateur et directeur de publication, Fabien Thévenot.
Le Comptoir : C’est une paraphrase de Nietzsche qui orne le “fronton” de votre maison d’édition : « Malheur à qui fait croître le désert ». Le paysage littéraire contemporain vous semblait à ce point aride pour vouloir y remédier ?
Fabien Thévenot : Je n’ai pas la prétention d’y remédier, juste de faire mon possible pour que survienne cette “littérature qui manque” — comme Deleuze parlait du « peuple qui manque ». Il ne s’agissait pas pour lui de compter sur un peuple préexistant mais littéralement de l’inventer : « Le peuple qui manque est un devenir, il s’invente, dans les bidonvilles et les camps, ou bien dans les ghettos, dans de nouvelles conditions de lutte auxquelles un art nécessairement politique doit contribuer. »
J’essaie avec mes maigres moyens de publier cette « littérature qui manque » pour le « peuple qui reste », celui qui s’intéresse encore aux pouvoirs révélateurs ou divinatoires de la littérature (et non pas au roman en tant que distraction, moyen de communication ou de produire du capital) ; une littérature à la fois contemporaine, ambitieuse mais accessible. Je n’ai pas la prétention non plus de réussir ce que j’entreprends, mais je suis mon intuition. Il y a beaucoup à faire.
19:45 Publié dans Littérature | Tags : Éditions le feu sacré, la poésie c’est la littérature populaire par excellence, sylvain métafiot, littérature, lyon, nietzsche, fabien thévenot, philip k. dick, f.j. ossang, thomas bizzarri, alain rodriguez, illusions, jean-hubert gailliot, éditions tristram, littérature nue, littérature de substitution, manège littéraire, amandine andré, sylvain courtoux, thomas vinau, frédérick houdaer, natyot, grégoire damon, julien d’abrigeon, jonathan bougard, les cinq livres du king, pacôme thiellement, rigodon, céline, bartleby, melville, les amours jaunes, tristan corbière, feux follets, pierre pigot, aurélien lemant, juan francisco ferré, rap, jérôme bertin, arthur-louis cingualte, mathieu dupré, warren lambert, eric losfeld | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 22 juillet 2016
Trois visions totalitaires : lecture croisée d’Orwell, Huxley et Zamiatine
Article initialement publié sur Le Comptoir
L’essor éditorial fulgurant qu’ont connu les contre-utopies durant le XXe siècle provient du fait qu’elles ont confronté leur discours littéraire à la notion de totalitarisme à laquelle elles font écho. D’où l’intérêt de s’attarder sur les concordances entre les caractéristiques du totalitarisme et le récit fictif minutieusement détaillé des contre-utopies et, particulièrement, trois œuvres emblématiques de ce genre littéraire : « Nous autres » de Evguéni Zamiatine, « Le Meilleur des mondes » d’Aldous Huxley et « 1984 » de George Orwell.
Le totalitarisme désigne à la fois une notion (accédant à une véritable consistance conceptuelle avec l’ouvrage d’Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme en 1951) et une réalité historique, exclusivement moderne et radicalement inédite. Cette notion est toutefois rejetée par certains refusant toute comparaison, même globale, entre les régimes nazi et stalinien ; et, a contrario, élargie à l’excès par ceux qui voient sa main derrière chaque violence étatique. Elle concerne principalement l’Allemagne hitlérienne entre 1933 et 1945 et l’URSS stalinienne entre 1929 et 1953. Le terme de totalitarisme a d’abord été forgé par Mussolini afin de définir l’état fasciste comme une organisation intégrale de toutes les forces existantes, synthèse et unité de toutes les valeurs. Le totalitarisme demeure toutefois “autre chose” qu’une surenchère des tyrannies classiques. Le totalitarisme, ce n’est pas le despotisme associé aux techniques modernes de coercition et de communication, mais bien un stade supérieur dans la brutalité. Le fascisme italien, malgré ses prétentions, ne fut qu’une banale dictature.
22:03 Publié dans Littérature, Politique | Tags : le comptoir, sylvain métafiot, trois visions totalitaires, lecture croisée, orwell, huxley, zamiatine, négationnisme et forclusion, christian godin, propagande, technique moderne et manipulation du langage, nihilisme et négation de l’altérité, l’impérialisme exponentiel, hannah arendt, violence systématique et terreur omniprésente, 1984, le meilleur des mondes, nous autres, urss, nazi, utopies, dystopies, contre-utopies, etat, révolution, panoptique, totalitarisme, idéologie du parti unique | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 28 juin 2016
Thomas Bouchet : « L’amour charnel, la bonne chère et la fête sont des enjeux sociaux »
Article initialement publié sur Le Comptoir
Maître de conférences en histoire du XIXe siècle à l’université de Bourgogne, Thomas Bouchet explore dans « Les Fruits Défendus », le rapport du socialisme à la sensualité sur les deux derniers siècles, de Charles Fourier à Daniel Guérin, en passant par Claire Démar, Prosper Enfantin, ou l’inventeur du mot “libertaire”, Joseph Déjacque. Il dresse ainsi une cartographie générale et contrastée de cette constellation sensualiste (extrêmement minoritaire au sein de l’univers socialiste) prônant une émancipation totale qui redonnerait toute sa place aux passions charnelles.
Le Comptoir : La volonté d’émancipation qui caractérise le socialisme se manifeste avant tout dans la sphère sociale. Or, le plaisir et la sensualité renvoient avant tout à la sphère individuelle. Comment le socialisme sensuel arrive t-il à concilier cette opposition sans sombrer dans la dictature des mœurs ?
Thomas Bouchet : Ceux qui font le pari d’un socialisme sensuel voient l’expression de l’émancipation des corps dans la vie sociale. Cela ne s’arrête pas, pour eux, à la porte d’entrée du logement qu’ils occupent. Ils estiment que la libération des esprits et des corps n’est pas simplement économique, sociale, politique ou culturelle : elle est aussi charnelle. En ce sens, lorsqu’ils dénoncent l’oppression qui abat les corps à l’usine, à l’atelier ou dans les champs, certains d’entre eux disent qu’il faut aller plus loin et se demander ce que ce corps libéré de l’oppression peut devenir dans une société autre (puisque les socialistes ont tout de même le projet, surtout au XIXe et XXe siècles, d’esquisser les contours d’une société qui fonctionne différemment). Dans ce cas, sur les terrains que j’ai étudié – l’amour charnel, la bonne chère et la fête – il y a un enjeu social et pas simplement individuel. Ces sensualités-là sont théorisées, revendiquées, mises en pratique éventuellement, mais dans une optique qui est au-delà de l’interaction et de la vie intime des individus.
15:41 Publié dans Littérature, Politique | Tags : le comptoir, sylvain métafiot, interview thomas bouchet, l’amour charnel, la bonne chère et la fête sont des enjeux sociaux, socialisme sensuel, charles fourier, daniel guérin, claire démar, prosper enfantin, libertaire, joseph déjacque, communisme puritain, émancipation du corps, dictature des moeurs, le nouveau monde amoureux, saint-simon, sade, marx, socialisme utopique, socialisme scientifique, d’holbach, condillac, diderot, helvétius, rabelais, la femme libre, journal la voix des femmes, léon blum, proudhon, paul lafargue, sorel, guesde, mai 68, hédonisme petit-bourgeois, homo-festivus, philippe muray, À bas les chefs, les fruits défendus, ernest cœurderoy, l’humanisphère, max nettlau, pierre leroux, patrick samzun, érotisme | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 08 juin 2016
Frédéric Pajak : « les héros de mes livres sont des sentiments »
Écrivain, dessinateur, éditeur... difficile de cerner Frédéric Pajak tant son œuvre et son parcours débordent le cadre de nos représentations souvent étriquées de la littérature. Faisant dialoguer Nietzsche et Pavese sous le ciel de Turin, explorant la profonde solitude de Luther ou traçant au lavis la destinée de Walter Benjamin dans son Manifeste Incertain, sa plume trempe dans l'encre noire de sa propre mélancolie pour retranscrire l'étrange intranquillité du monde. À l'occasion de son passage à la libraire Le Bal des Ardents, il a volontiers accepté de répondre à nos questions.
Vos ouvrages « écrits et dessinés » sont plus proches du journal intime que du roman ou de la bande-dessinée illustrative. De quelle manière vos expériences personnelles vous amènent-elles à vous intéresser à des personnalités aussi tourmentées qu'Apollinaire, Kafka, Pound, Joyce, Benjamin ou Gobineau ?
Ce sont des auteurs que j'ai lu dans ma jeunesse, entre 18 ans et 25 ans. Je lisais beaucoup à cette période, deux à trois livres par jour, même si je ne comprenais pas toujours tout. Puis, des années plus tard j'ai eu envie de les relire. Et c'est à partir de ces relectures, qui sont comme des découvertes, que j'ai fait ces ouvrages. Mais ces livres sont toujours partis d'un sentiment. Les héros de mes livres sont des sentiments (la solitude, le chagrin d'amour, la mélancolie, l'humour, etc.). Concernant le chagrin d'amour, par exemple, j'ai longtemps cherché quel auteur pouvait exprimer ce sentiment dans sa vie plutôt que dans son œuvre et je suis arrivé à Apollinaire. Sa vie, sa façon de réagir, ses liaisons, sa chanson du Mal aimé... sont comme une recherche du chagrin d'amour, un peu comme les troubadours qui doivent être en état permanent de demande ou d'attente pour pouvoir aimer.
Arthur de Gobineau, autre exemple, m'a passionné. Ce n'était absolument pas le raciste que l'on dépeint sans l'avoir lu. Il n'y a aucune trace d'antisémitisme dans son œuvre, au contraire c'était un philosémite acharné. C'était un érudit, fin lettré, grand connaisseur de la Perse, et profondément pessimiste : son Essai sur l'inégalité des races humaines est un délire sur l'avènement de la fin du monde que même le plus acharné des racistes d'aujourd'hui ne peut prendre au sérieux une seule seconde.
19:05 Publié dans Littérature | Tags : le gazettarium, apollinaire, bal des ardents, benjamin, copi, entretien, fournier, frédéric pajak, gébé, gobineau, joyce, kafka, lavis, les héros de mes livres sont des sentiments, manifeste incertain, marcel bascoulard, nietzsche et pavese sous le ciel de turin, pound, sylvain métafiot, topor | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 28 mai 2016
Tchaïkovski, la Mère-Russie, l’amour et la musique
Extrait d’une lettre de Piotr Illitch Tchaïkovski à Nadejda von Meck, mécène et bienfaitrice du compositeur auquel elle versait une rente régulière jusqu’en 1890 et ayant entretenu durant de longues années une relation épistolaire très étroite avec lui. Elle ne l’a jamais rencontré.
Florence, jeudi 21 février 1878,
10 heures du soir
Nous sommes arrivés ce soir à Florence. Une ville charmante et sympathique ! J’ai éprouvé une sensation agréable en y entrant, et je me suis souvenu de mon état il y a deux mois dans cette même ville. […]
Quelles lettres merveilleuses vous m’écrivez ! J’ai lu avec un plaisir immense votre missive d’aujourd’hui, si aimable et si riche de contenu. En la lisant, j’ai eu un peu honte que mes lettres soient si courtes et si peu intéressantes comparées aux vôtres ! Il est vrai que j’écris souvent, mais je ne suis en revanche pas capable d’écrire dans une seule lettre autant et aussi bien que vous. Le mérite d’une lettre réside toutefois dans le fait que la personne qui l’a écrite est restée elle-même et ne s’est pas donné un genre, ne s’est pas contrefait. J’appartiens à la catégorie de gens qui aiment terminer tout de suite les choses qu’ils entreprennent. Si j’ai commencé une lettre, je ne suis pas tranquille tant que je ne l’ai pas achevée et aussitôt envoyée.
18:06 Publié dans Musique | Tags : sylvain métafiot, piotr illitch tchaïkovski, nadejda von meck, musique, opéra, amour, russie, modest, lettre, échange épistolaire, florence, 1878 | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 19 mai 2016
Contes de la folie dystopique
Article initialement publié sur Le Comptoir
Après avoir navigué dans les eaux claires et bienveillantes des fictions utopiques, il est temps d’accoster son envers ténébreux, le sinistre continent carcéral des dystopies. Inspirées des satires du XVIIe siècle, les dystopies (ou contre-utopies) naissent à une période critique et anti-totalitaire survenant au lendemain de l’âge d’or du scientisme, du positivisme social et de la croyance dans le progrès élaborés durant le XIXe siècle.
Les progrès de la technique et de la science n’ont pas seulement permis l’industrialisation de l’Occident mais ont profondément transformé les rapports de l’homme à l’univers et à sa propre nature biologique. La Première Guerre mondiale et son cortège d’armes chimiques, l’échec des grandes idéologies, la montée du fascisme en Europe de l’Ouest et l’expérience des camps de la mort durant la Seconde Guerre mondiale sont les principales causes de la dégénérescence de l’utopie. Les nombreuses désillusions qui traversent le XXe siècle vont progressivement pousser les utopistes à changer leur conception de l’avenir de l’humanité. Ils imaginent un monde dans lequel l’homme, constitué entièrement par la science, verrait ses actes et ses pensées déterminés génétiquement. Pourtant, les prémisses de la critique du “totalitarisme utopique” avaient déjà vu le jour trois siècles auparavant.
13:24 Publié dans Littérature | Tags : sylvain métafiot, le comptoir, contes de la folie dystopique, continent carcéral, envers ténébreux, contre-utopie, nous autres, le meilleur des mondes, 1984, gilles lapouge, quand le dormeur s’éveillera, h. g. wells, nicolas berdiaeff, bronislaw backzo, evguéni ivanovitch zamiatine, raymond trousson, frédéric rouvillois, Éric faye, bernard mandeville, jonathan swift, abbé prévost, tiphaigne de la roche, emile souvestre, maurice spronck, comenius, joseph hall, le labyrinthe du monde et le paradis du cœur, mundus alter et idem, xixe siècle | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 11 mai 2016
Staline à l’opéra
En ce début d’année 1936, a lieu la représentation du nouvel opéra de Dimitri Chostakovitch au bolchoï de Moscou : Lady Macbeth. Le 26 janvier, sur un coup de tête, Staline et sa suite débarquent au théâtre, entraînant avec lui l’écrivain Mikhaïl Boulgakov. Ce dernier en a tiré un récit oral que sa femme a retranscrit dans son livre Journal & Souvenirs sur Mikhaïl Boulgakov. Un verbatim aussi stupéfiant que grotesque.
STALINE
… Eh, Mikho, Mikho !... Il est parti, il n’est plus là, mon Mikho [Mikhail Boulgakov] ! Qu’est-ce que je vais faire maintenant, quel ennui, c’est atroce ! Et si j’allais au théâtre ? Il y a Jdanov qui n’arrête pas de brailler : musique soviétique, musique soviétique ! Il faudrait que j’aille à l’opéra.
(Il prend son téléphone et se met à lancer des appels à la ronde.)
Vorochilov, c’est toi ? Qu’est-ce que tu fais ? Tu travailles ? De toute façon, que tu travailles ou pas, ça ne change pas grand-chose. Allons, ne tombe pas dans les pommes ! Prends Boudienny avec toi.
Molotov, viens tout de suite, on va à l’opéra ! Quoi ? Qu’est-ce que tu as à bégayer comme ça, je ne comprends rien ! Viens, je te dis ! Prends avec toi Mikoyan !
Kaganovitch, laisse tomber tes juiveries, viens, on va à l’opéra, à l’opéra !
Ah bien, Yagoda, tu nous as tous écoutés, j’en suis sûr, tu sais qu’on va à l’opéra. Prépare une voiture !
On avance une voiture. Tous y prennent place.
Au dernier moment, Staline se souvient de quelque chose :
Comment a-t-on pu oublier le spécialiste numéro un ? On a oublié Jdanov ! Qu’on le fasse chercher immédiatement à Léningrad avec le plus rapide de nos avions !
Dzzz !... Un avion décolle et revient quelques minutes plus tard. À son bord, Jdanov.
14:47 Publié dans Musique, Politique | Tags : staline à l’opéra, sylvain métafiot, mikhaïl boulgakov, dimitri chostakovitch, bolchoï, lady macbeth, terreur, kaganovitch, yagoda, boudienny, jdanov, melik, samossoud, opéra, musique soviétique | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 14 avril 2016
L’archipel des fictions utopiques
Article initialement publié sur Le Comptoir
De la Renaissance au XXe siècle, l’évolution de la pensée politique a déplacé le sens originel du mot “utopie” – qui désignait le titre d’une œuvre littéraire – jusqu’au sens actuel où le terme est plus ou moins confondu avec celui d’idéal et/ou de société totalitaire. L’utopie est pourtant un genre bien spécifique, qui ne se confond pas avec les autres formes de productions imaginaires auquel il est souvent assimilé. Voyageons au sein de ces insularités fictionnelles.
Ayant souvent été considérée comme un programme politique (ce qui est vrai chez certains socialistes utopistes du XIXesiècle, comme Étienne Cabet ou Charles Fourier), l’utopie demeure essentiellement une construction fictionnelle formant un réticule d’enchevêtrement imaginaire : eunomies, uchronies, contre-utopies, etc.
Dans D’Utopie et d’Utopistes le philologue Raymond Trousson définit l’utopie comme l’un des modes d’expression de l’imaginaire social en tant que « genre littéraire narratif et descriptif qui peut s’étudier dans ses invariants, dans ses constantes à la fois thématiques et formelles », à différencier de l’« utopisme comme imaginaire social au sens large ». Mais la fiction n’exclut pas la politique car l’utopie narrative est certes un « texte littéraire empruntant la forme du roman, mais avant tout pourvu d’un contenu idéologique ». L’utopie n’est ni un rêve ni une chimère. Elle ne se donne pas sur le mode de l’imaginaire complet : bien que fictive, elle est envisagée comme quelque chose de réalisable, prenant en compte les possibilités infinies de l’intrication entre la nature et la raison humaine. En somme, l’utopie s’inscrit dans le champ du possible et non du virtuel.
15:35 Publié dans Littérature, Politique | Tags : eunomies, uchronies, contre-utopies, raymond trousson, l’archipel des fictions utopiques, le comptoir, sylvain métafiot, utopia, thomas more, eutopia, sources, erasme, humanisme, virtuel, michèle madonna-desbazeille, dictionnaire des utopies, platon, hésiode, les travaux et les jours, la république, pays de cocagne, genèse, nouvelle atlantide, francis bacon, fourier, marx, saint-simon, robert owen, l’an 2440 ou rêve s’il en fut jamais, louis sébastien mercier, l’an 330 de la république, maurice spronck, une utopie moderne, herbert george wells | Lien permanent | Commentaires (0)